Voyage en Suisse sur les traces de Wagner
Une fois par mois, nous vous emmenons à travers des bâtisses et des édifices connus ou moins connus de Suisse. Dans ce numéro, place à Lucerne et Zurich, avec Richard Wagner et les musées Wagner et Rietberg. Le compositeur a entretenu des liens privilégiés avec notre pays qui lui a offert l’asile de sympathie et de tranquillité nécessaire à l’épanouissement de son génie.
La légende raconte que c’est en voyant au loin les Alpes glaronaises se dorer et rougeoyer au soleil couchant que Richard Wagner aurait senti son cœur déborder d’une joie nouvelle. Il se serait alors juré de mettre tout en œuvre pour pouvoir se fixer à demeure dans le pays qui s’ouvrait devant lui. Cette scène aurait eu lieu un soir de printemps 1849, à l’entrée de Zurich. Le compositeur a déjà l’œil conquérant et le menton volontaire mais il n’est pas encore l’auteur à la renommée universelle qu’il deviendra plus tard. En 1849, il n’a composé que Rienzi et le Vaisseau fantôme. Mieux: pour les Helvètes, il n’est qu’un simple réfugié politique, une victime de la révolution allemande contrainte de fuir sa patrie en raison de ses idées libérales. «Wagner avait dû mettre en jeu mille ruses pour dépister la police lancée à ses trousses et traverser l’Allemagne sans être reconnu, indique Albert Schenk, auteur d’un article intitulé «Richard Wagner en Suisse: 1849-1859». On peut se figurer le soulagement qu’il éprouva lorsqu’il put écrire à sa femme qu’il se trouvait hors de danger «in der freien Schweiz» (en Suisse libre).
À compter de cet instant, Wagner va habiter notre pays de bergers et de marchands d’une façon presque ininterrompue pendant dix ans. De la plaine à la montagne, du Rhin au lac Majeur, des Grisons à Genève, l’infatigable marcheur visitera tous nos sites et grimpera à tous nos points de vue. «Ces dix années sont certainement la période productive la plus importante de la vie de Wagner, car c’est pendant ce temps qu’il conçut et écrivit ses plus grands opéras: Rheingold, la Walkyrie, Siegfried, le Crépuscule des Dieux, Tristan et Iseult», nos montagnes qui rendent à son âme la paix à laquelle elle aspire, il se recueille, il assemble les éléments qui vont lui permettre d’accomplir l’œuvre d’art la plus grandiose et la plus neuve qu’esprit humain ait jamais conçue.»
La genèse de Tristan
Quelles sont les bâtisses qui conservent aujourd’hui le souvenir du maître? Wagner a habité au deuxième étage d’une des vieilles maisons de Zurich, la Maison Escher (une plaque commémorative rappelle son passage). En septembre 1857, un ferblantier installe son atelier en face de chez lui. Incapable de se concentrer dans un tel vacarme, le compositeur confie à son ami Otto Wesendonck – un riche homme d’affaires - son souhait d’un «nid» calme et isolé. Ce vœu est aussitôt exaucé. Otto Wesendonck lui propose de l’héberger dans une maison spacieuse et commode, de style néo-classique, limitrophe de la magnifique villa qu’il est en train de faire bâtir pour lui et pour son épouse, la poétesse Mathilde. Wagner accepte et baptise cette résidence «L’Asile». Il y vivra d’avril 1857 à août 1858, et y composera la première partie de Tristan et Iseult, son œuvre la plus envoûtante et radicale. La plus intime et personnelle, aussi. Le maître a en effet puisé dans son vécu la matière première de ce drame musical. Ainsi, Iseult la blonde n’est autre que Mathilde Wesendonck, l’épouse de son mécène. A l’instar des amants de la légende celtique, Wagner et Mathilde ne connaîtront pas une fin heureuse. La jalousie de Mina, l’épouse du compositeur, mettra un terme à l’idylle. En 1865, on retrouve Wagner à la pension Le Rivage à la Tour-de-Peilz ainsi qu’à la pension Prélat, à Vevey. Devenu l’hôtel Bon Rivage, le lieu est toujours très apprécié des wagnérophiles, notamment grâce à son architecture du XIXe siècle et son ouverture sur le Léman.
En 1866, Wagner s’installe dans une maison de campagne située à Tribschen, sur les rives du lac des Quatre-Cantons. Il y vivra ses plus belles années en compagnie de sa seconde épouse, Cosima, et de leurs enfants. Le manoir, ouvert à la visite, abrite aujourd’hui l’actuel musée Richard Wagner. De façon intéressante, ses origines remontent au XVe siècle. L’apparence actuelle de la demeure est toutefois attribuée à l’année 1800. «Les visiteurs peuvent noter les caractéristiques typiques de cette époque comme les rangées de fenêtres, note le porte-parole du musée. La disposition axisymétrique de celles-ci peut être attribuée au style de construction des maîtres de la famille Singer. En 1943, les salles du premier étage ont été rénovées pour abriter une collection d’instruments de musique historiques.»
La villa Wesendonck abrite quant à elle le Musée Rietberg et ses trésors d’art oriental. Ouvert au public en 1952, celui-ci se compose de trois villas d’époque parmi lesquelles figure l’Asile, aujourd’hui connu sous le nom de Villa Schönberg. Dans ce lieu particulier, le passé rencontre le présent. Les visiteurs peuvent en effet apprécier l’interaction unique entre l’ancien et le nouveau, le classicisme d’une villa majestueuse et le purisme de l’architecture muséale. En 2007, les capacités d’exposition du musée ont doublé, sans que l’ensemble formé par la villa Wesendonck s’en trouve bouleversé. Cette prouesse a été accomplie par le collectif d’architectes Grazioli Krischanitz, qui a eu l’idée d’enterrer les salles à douze mètres de profondeur, dans la colline de moraine. L’Émeraude, un spectaculaire pavillon de verre (même ses éléments porteurs sont en verre lamellé!) inauguré la même année, sert d’entrée à l’aile moderne de l’extension souterraine du musée. Les esthètes apprécieront sa face rectangulaire, ornée de motifs cristallins d’un vert jade qui n’est pas sans rappeler la végétation luxuriante environnante.