Logements

Venir à bout de la pénurie, une utopie?

Entre le blocage populaire des grands projets, la lenteur des procédures, le découragement croissant des développeurs immobiliers et les transformations de bureaux en résidentiel qui demeurent rares, le mirage d’un logement pour tous semble s’éloigner de jour en jour.

L’écoquartier de la Valleyre au Mont-sur-Lausanne recalé lors de votations populaires.
L’écoquartier de la Valleyre au Mont-sur-Lausanne recalé lors de votations populaires. - Copyright (c) Gefiswiss
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Les mêmes chiffres toujours plus pessimistes sont martelés à la population depuis quelques temps, le tout assorti d’annonces alarmantes telles que «la pénurie de logements s’aggrave» ou «la situation est de plus en plus tendue en Suisse». Un écho angoissant qui agite les esprits et provoque la discussion à chaque pause-café, réunion de famille ou rendez-vous chez le coiffeur...

«Tôt ou tard, le marché va se réguler, comme après la crise des années 90», assurent les plus confiants qui se voient vite contredits par la réalité des faits. Prenons l’exemple du canton de Vaud, dont la croissance démographique extrêmement soutenue (15’000 nouveaux habitants en 2023), observe un besoin annuel de création de 5500 logements, tandis qu’il s’en construit actuellement plutôt 4000 par année (contre 6922 en 2020). Un fossé sur le marché de l’offre et de la demande qui se creuse donc à vitesse grand V et qui place aujourd’hui 200 communes vaudoises dans un contexte de pénurie.

Alain Turatti, directeur général du territoire et du logement du canton, a abordé cette question «préoccupante» lors de la 15e journée romande de l’estimation immobilière, organisée par la SVIT School début février. «Notre objectif est d’offrir une accessibilité au logement pour le plus grand nombre mais quantité de constructions sont en finalité bloquées par des successions, des PPE indécises, des conditions financières irrationnelles, des servitudes privées et, bien sûr, des recours populaires qui empêchent le développement de certains quartiers», décrit-il.

Les investisseurs désertent le marché

Et c’est sur ce dernier point que le bât blesse. Puisque, plus visible que jamais, la levée de boucliers des habitants contre l’aménagement du territoire devient quasi-systématique. Parmi les derniers revers essuyés lors de votations: Blonay-St-Légier, Montreux, St-Sulpice ou encore le Mont-sur-Lausanne. Autrement dit, près de 600 potentiels logements stoppés nets ces deux dernières années par des refus populaires.

«Les gens n’acceptent plus la densification, c’est devenu un gros mot. Personnellement, j’ai deux enfants et je me demande bien où ils pourront habiter plus tard. On parle de système de santé à deux vitesses mais le droit au logement ne vaut guère mieux. Sans appartenir au monde de l’immobilier, comment voulez-vous déménager de chez vous sans faire 50 kilomètres?», déplore Boris Clivaz, CEO de Gefiswiss (qui a fait les frais d’oppositions sur le projet du Mont-sur-Lausanne). Un droit à bâtir suspendu «alors que nous avions réalisé les études, suivi le (long) processus législatif et que les collectivités avaient approuvé les plans. Tout a été fait correctement mais d’un coup, ce travail est remis en cause pour des intérêts individuels et 15 millions de francs d’investissements sont mis entre parenthèses», poursuit-il.

Et même si la décision de délivrer ou non le permis de construire des Grands-Prés, à Montreux (contre la volonté du peuple) devrait être rendue par le Tribunal fédéral en juin prochain, ce qui ferait alors primer le droit populaire sur la LAT (Loi fédérale sur l’aménagement du territoire) ou inversement, Boris Clivaz reste défaitiste: «Quand vous investissez des dizaines de millions de francs, vous avez besoin d’un cadre qui vous permette au moins d’avoir une sécurité juridique. Déjà que les délais des procédures sont assez longs, ces revirements effectués en à peine quelques mois déstabilisent les investisseurs et les partenaires financiers qui, en conséquence, se retirent des projets d’importance.»

Conscient du préjudice causé, le canton de Vaud a récemment reçu les communes dans lesquelles des votations de ce type ont débouché sur un refus et a tenté d’en comprendre les raisons. «La plupart mettent en avant les motifs environnementaux, ensuite vient la nécessité de préserver des espaces verts, puis les infrastructures surchargées ou manquantes, la peur de la densification et enfin, la crainte d’une perte d’identité communale», relate le directeur vaudois, Alain Turatti. Ce à quoi le développeur Boris Clivaz a réagi: «Notez que l’initiative pour rendre notre projet du Mont-sur-Lausanne inconstructible a été acceptée le même jour que le recalage de la loi sur la biodiversité. Et nos immeubles allaient être recouverts de panneaux solaires, contrairement aux toitures des villas voisines... »

Autre paradoxe qui dérange également, celui de la facture ensuite assumée par le canton. En effet, il est indiqué dans la loi vaudoise que les habitants de la commune référendaire n’ont pas à porter seuls les conséquences financières d’un refus de construire mais répartissent les coûts avec leurs communes voisines.

La lumière faiblit au bout du tunnel

Exemples de bureaux transformés en logements.diaporama
Exemples de bureaux transformés en logements.

Alors, à la question «peut-on sortir de cette pénurie de logements?», Boris Clivaz se montre ferme: «Non. Ce n’est ni la faute du canton, ni des communes, c’est simplement le cadre législatif qui n’avait pas prévu cela et le problème retombe sur nos épaules, en bout de chaîne.» Plus engageant, le directeur général vaudois du territoire et du logement y voit, non pas une utopie, mais une situation qui interroge. «Le territoire n’est pas extensible et ces conflits d’intérêts dans la zone à bâtir vont nous obliger à placer le curseur vers l’intérêt public ou individuel. Sachant que nous sommes dans une société où règne l’individualité et que nous n’avons pas tous la même définition d’une qualité de logement, cela s’annonce compliqué...», conclut-il.

Les prémices des conversions de bureaux

Mais si construire des immeubles s’avère si difficile, qu’en est-il de la transformation de surfaces de bureaux (dont la demande se tarit) pour créer plus de logements? Serait-ce là une des solutions pour atténuer la pénurie qui sévit? Selon l’architecte Isabel Concheiro Guisan, professeure à la Haute école d’ingénierie et d’architecture de Fribourg, c’est du moins une porte ouverte vers une nouvelle forme d’habitat innovant. «Ces bâtiments disposent d’une morphologie spécifique, avec plus de volumétrie, ce qui permet plus d’expérimentation architecturale», confirme l’experte. L’occasion de créer dans les rez-de-chaussée des espaces communs aux habitants et de tenter de nouvelles typologies de logements, plus flexibles et adaptés aux seniors. Un vaste champ des possibles que Julian Reymond, CEO de Realstone, nuance en tant que propriétaire: «Les transformations de bureaux ne sont pas encore répandues car il faut, d’une part, que l’opération fasse du sens économiquement. Si le loyer des bureaux est trop proche de celui des futurs appartements (typiquement 224 CHF/m2 contre 237 CHF/m2), cela ne sera pas rentable puisqu’il faudra investir de l’argent dans des travaux (compter environ 2500 CHF/m2).» Car outre la dilution du potentiel rendement, le passage d’une affectation à l’autre implique son lot de contraintes réglementaires et une mise en conformité complexe (salubrité, surface minimale des pièces, protection du patrimoine, normes incendies, places de stationnement, buanderie, etc.). Tout doit alors être repensé dans l’immeuble, ce qui génère un certain coût à prévoir et à analyser.

Un manque d'opportunités

Un travail qu’a effectué Realstone sur son parc immobilier, éliminant de ce fait les centres-villes où les loyers de bureaux ont pu atteindre par le passé 800 CHF/m2 à Genève par exemple. «En revanche, nous avons réalisé une transformation au Petit-Lancy (GE). Ce qui nous a permis de passer d’un loyer de bureaux à 192 francs le m2 à un loyer d’habitation à 358 francs le m2. Une opération exemplaire», illustre Julian Reymond. Autre cas genevois pour Realstone: un bâtiment mixte commercial-artisanal au Grand-Saconnex qui peinait à trouver des locataires. Realstone ne pouvant troquer l’affectation pour du résidentiel, a opté pour la création de 100 logements meublés avec service afin de monter le loyer de 300 francs/m2 à 483 CHF/m2 (après déductions) et ainsi réduire la vacance.

«Le potentiel de rendement est bel et bien là mais ce n’est pas applicable à tous les quartiers et tous les immeubles. Pour inciter les propriétaires à aller de l’avant, les autorités devraient s’inspirer de nos voisins français qui permettent notamment de construire 30% de plus lors de conversions mais c’est un voeu pieu», lance le dirigeant de Realstone qui espère que son message sera entendu...