Etude du Credit Suisse

Une pénurie de logements difficilement évitable

Le Credit Suisse vient de présenter son étude "Marché immobilier suisse 2023". Principal constat: le revirement des taux d'intérêt a mis fin au super cycle de l'immobilier.

La demande de logement en propriété baisse
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La situation lors de ces prochains mois devrait être la suivante: les taux d’intérêt devraient encore augmenter et provoquer dès 2024 une légère baisse du prix des biens mis en vente. A l’inverse, avec la flambée des prix de la construction, entre autres, les taux de vacance continueront de baisser, tandis que les loyers devraient augmenter de 3 à 4%.

«Le marché suisse du logement locatif a enregistré un renversement de tendance en un temps record», a résumé Sara Carnazzi Weber, responsable analyse politico-économique qui dirige l’équipe de recherche formée de quatre spécialistes auteurs de cette dernière édition. «La menace d’une pénurie de logements bien au-delà des centres-villes a désormais remplacé les offres excédentaires au cœur des discussions. La principale raison de ce renversement de tendance est l’activité de construction, en recul depuis 2017 déjà. Nous considérons que la révision de l’aménagement du territoire (LAT) en est la cause principale», explique la spécialiste. «La révision de la LAT complique les classements en zone à bâtir, car les citoyens se sont prononcés à plusieurs reprises contre un nouveau mitage du territoire suisse. En conséquence, les réserves de zones constructibles diminuent dans toute la Suisse.»

Densification peu populaire

Comme l’a relevé Mme Carnazzi Weber, la densification, qui devrait assurer un approvisionnement suffisant en logements à la place des classements en zone à bâtir, est «largement freinée». On le voit actuellement en ville de Genève avec la votation sur le plan localisé de quartier de Bourgogne sur laquelle les Genevois votent le 12 mars. Il s’agit de supprimer une des dernières zones villas située en pleine ville pour réaliser 450 logements et un parc public. «Les mesures d’accompagnement qui pourraient soutenir efficacement la densification manquent ou ont un impact trop lent. Une action rapide serait nécessaire afin d’éviter une véritable crise du logement», relève-t-elle. D’autant que la banque prévoit un solde migratoire en Suisse de +70'000 personnes en 2023, soit une croissance plus soutenue que chez nos voisins.

La pénurie dope les prix

Densifier la ville en supprimant quelques villas? Les Genevois votent le 12 mars à ce proposdiaporama
Densifier la ville en supprimant quelques villas? Les Genevois votent le 12 mars à ce propos

Autre élément capital: avec la hausse des taux d’intérêt, on assiste à un net recul de la demande de logements en propriété (voir le graphique). Après une décennie de niveaux planchers sans précédent, ces taux ont en effet plus que doublé l’année dernière. Le taux d’une hypothèque fixe à 5 ans est par exemple passée de 1% fin 2021 à 2,7% fin 2022. «Le récent envol des prix fait en sorte que la part des ménages pouvant se permettre d’accéder à la propriété a encore diminué.» Credit Suisse avertit: «La combinaison des taux et des prix élevés dans l’immobilier entraîne tout simplement une hausse trop importante des coûts, ce qui pèse sur la demande dans des proportions telles que les corrections de prix deviendront inévitables. Ces dernières devraient toutefois rester raisonnables, puisque l’offre durablement restreinte limite considérablement la marge baissière». Sara Carnazzi Weber précise que cette correction ne devrait pas intervenir avant 2024 et variera selon les régions.

Les équipes de recherche ont constaté que, désormais, il était devenu beaucoup plus cher d’acheter que de louer. «Les charges annuelles d’un logement en propriété sont aujourd’hui 47% plus élevées que celles d’un logement locatif comparable.» Après 13 années pendant lesquelles l’achat était plus intéressant que la location, il faut donc désormais composer avec une prime de propriété très élevée. Cela étant, ce constat ne concerne pas forcément la totalité des ménages propriétaires depuis un certain nombre d’années, mais plutôt les primo-accédants.

L’admissibilité théorique devient un obstacle

Comme le relève la dernière étude du CS, avec un taux de financement par emprunt de 80% et un taux d’intérêt théorique de 5%, un ménage disposant d’un revenu moyen de 119’000 francs devrait ainsi allouer pas moins de 40% de ses revenus à l’acquisition d’un logement neuf du segment intermédiaire, et même 59% pour une maison individuelle neuve de taille moyenne. Or, «ces deux chiffres sont bien supérieurs au seuil usuel, qui s’établit à un tiers du revenu brut. Le principe de l’admissibilité théorique que les banques sont tenues d’appliquer pour tout financement devient par conséquent un obstacle insurmontable pour un nombre croissant de ménages».

Augmentation de l’immigration

Enfin, en 2022, la demande de logements en location a encore augmenté. La raison? L’immigration a connu une nette progression et comme le nombre de ressortissants étrangers quittant la Suisse est toujours inférieur aux niveaux prépandémiques, le solde migratoire enregistré en 2022 est, selon nos estimations, le plus élevé depuis 2014 (78'000 personnes).

«Pour 2023, nous anticipons un léger tassement de l’immigration nette à environ 70’000 personnes, d’autant plus que la croissance de l’emploi devrait réagir avec un certain décalage à la détérioration conjoncturelle et baisser de 2,6% à 0,7%. Pour la Suisse, nous nous attendons à un ralentissement moins marqué que pour la zone euro. Cette avance conjoncturelle va sans doute limiter la baisse de l’immigration et réduire le nombre de départs. Et la pénurie de main-d’œuvre toujours sévère dans de nombreuses branches ainsi que le nombre croissant de départs à la retraite devraient également maintenir à un niveau élevé la demande de travailleurs étrangers». Ajoutons à cela, l'augmentation du nombre de demandeurs d’asile en général et de réfugiés ukrainiens en particulier. Il est à prévoir que la Suisse dépasse le seuil des neuf millions d’habitants dès 2024.