Un joyau historique mis en vente
Édifié à la suite de la démolition des fortifications, ce petit immeuble de 750m2 idéalement placé au bord du square formé par la rue François-Le-Fort, à deux pas de la Vieille-Ville de Genève est à vendre au prix de 18 millions de francs. Voici son histoire.
Pas simple de retracer l’historique d’un « hôtel particulier » des Tranchées lorsque son propriétaire, qui l’a acquis il y a près de 40 ans, ne le connaît pas non plus. Pour parvenir à découvrir la date de sa construction, le nom de l’architecte et du premier propriétaire, il aura fallu aller interroger les collaborateurs des Archives de l’Etat de Genève, lesquels n’ont pas ménagé leurs efforts. Avant de vous dévoiler le fruit de nos laborieuses recherches, petit retour en arrière.
LE DÉMANTÈLEMENT DES FORTIFICATIONS
A la seconde moitié du XIXe siècle, la classe politique genevoise se déchire sur le maintien ou non de l’appareil défensif que sont ses fortifications. Le 15 septembre 1849, la démolition de celles-ci était votée à la majorité. Les travaux de démantèlement se sont alors étalés entre 1850 et 1876. A l’image de l’aménagement en cours de ce que l’on nomme le PAV (pour la Praille, les Acacias et les Vernets), cette opération va permettre au canton de libérer une énorme surface de terrains. Plusieurs plans d’extension vont se succéder, avant d’adopter ceux de
l’ingénieur cantonal Léopold Blotnizki en 1854 et 1855. Comme le relève l’historienne de l’art Véronique Palfi : « Les nouveaux quartiers, aérés, furent ordonnés selon une trame à dominante orthogonale, ponctuée de ronds-points et de promenades. Le square du Mont-Blanc et le quartier de Rive devaient figurer parmi les premières réalisations de la ceinture fazyste ».
LE QUARTIER DES TRANCHÉES
Entre 1860 et 1900 va surgir progressivement le nouveau quartier des Tranchées, dans lequel va être construit, notamment, l’Eglise Russe. Une fois le plan d’aménagement adopté, les premières mises aux enchères des terrains furent organisées par le Conseil d’Etat. Des prix minimaux sont fixés, généralement de 50 francs le mètre carré. Une Compagnie anonyme des immeubles des Tranchées est constituée en décembre 1860, remportant de nombreux lots le long des futures rues Saint-Victor, Charles-Bonnet, Athénée, Eynard, Croix-Rouge, Cours des Bastions ou encore Promenade du Pin. Les nouveaux propriétaires sont tenus de bâtir dans un délai fixé par l’Etat sous peine de se voir amendés. Dans le cas de la parcelle du 2 rue François- Le-Fort, l’adjudication publique effectuée par le Conseil d’Etat se déroule le 18 février 1872. Sa mise à prix est fixée à « 350 francs la toise carrée », une unité de longueur correspondant à six pieds français, soit 1,949 m. Il est encore indiqué que « la hauteur du bâtiment ne dépassera pas 16 m à la corniche de la toiture. Et le bâtiment devra avoir au minimum un rez-de-chaussée élevé et un étage ». La parcelle est alors adjugée à 351 francs la toise, soit à un peu plus de 12'000 francs d’alors. Précisons que la parcelle mesure 234 m2.
UNE FEMME PROPRIÉTAIRE
Qui achète alors cette parcelle ? D’après l’arrêt du Conseil d’Etat signé par Jacques Ormond, un radical qui décédera en fonction en mai 1877, il s’agit de «Madame A. Penard », alors représentée par son architecte Léon Fulpius. C’est en fait l’épouse d’un comptable, Adrien Penard, qui deviendra par la suite directeur du Bureau des Familles, un organisme philanthropique et qui fut diacre de l’Église nationale protestante. « Comme les biens immobiliers sont inaliénables, de nombreux Genevois ont doté leurs filles de biens immobiliers pour les protéger », nous explique l’historien Olivier Perroux. Le 29 février 1872, l’entrepreneur Pierre Saulnier demande une autorisation pour pouvoir entreposer des matériaux pour la construction d’une maison. Si on ne connaît pas la date précise de l’achèvement de cet immeuble, relevons néanmoins qu’une première maison apparaît à cet emplacement sur un plan de juin 1872.
QUATRE APPARTEMENTS
Revenons à l’immeuble édifié entre 1872 et 1873 par Léon Fulpius. Cet architecte a été très prolixe dès 1870 avec la transformation et la surélévation d’un ancien théâtre de variétés (rue Ami-Lévrier), puis du bloc situé 1-3-5 rue de la Synagogue/2-4-6 rue Petitot (déjà sur les anciennes fortifications), avant d’enchaîner avec le bâtiment rue François-Le-Fort.
Signalons qu’il va notamment se charger des immeubles 18 et 26 rue de Candolle, 23-25 quai du Mont-Blanc, l’hôtel Mayor ou encore le bâtiment du contrôle fédéral des métaux précieux à Bienne avec son fils, Frantz. Il va présider la section genevoise de la SIA (1899-1905) et sera député du parti démocratique. Enfin, il s’est beaucoup occupé de l’Eglise nationale protestante, c’est sans doute ainsi qu’il est entré en contact avec Adrien Penard.
Difficile de parler d’hôtel particulier à propos du 2 rue François-Le-Fort. En effet, celui-ci a été conçu pour offrir quatre plateaux d’environ 180 m2 chacun. Une cage d’escalier dessert les quatre appartements, entre le rez supérieur et le 3ème niveau. Chacun est doté d’un hall d’entrée, d’un séjour, d’une cuisine, d’une salle de bains, de toilettes séparées et de trois à quatre chambres/bureaux. L’actuel propriétaire en avait fait sa résidence principale, mais aussi ses bureaux.
SURFACES AMÉNAGEABLES
Si Adrien Penard n’a vraisemblablement occupé qu’un des niveaux, les autres étant loués à des tiers, notamment des rentières, il est tout à fait possible d’adapter l’ensemble pour une seule famille. Les propriétaires successifs, notamment Jean Piguet, Mme Julia
Cartier-Fink, puis Guy Hanselmann, ont maintenu la même configuration. Ce n’est qu’après son acquisition en avril 1985 que l'actuel propriétaire a effectué quelques adaptations pour y aménager des bureaux au rez supérieur et au 1er étage.
A titre informatif, des devis ont été obtenus pour installer un petit ascenseur au centre de la cage d’escalier, mettre un chauffage au sol (au lieu du chauffage au gaz) et rafraîchir l’ensemble. L’ensemble représente une surface habitable de 750 m2.
Prix : 18 millions de francs
Informations : www.cardis.ch