Chronique chez soi

Toi + moi = 2 toits

Les amours à distance sont déjà compliqués, vivre entre deux maisons ne simplifie pas la chose.

Il y a toujours une base incompressible que vous avez impérativement besoin d'avoir sur vous
Il y a toujours une base incompressible que vous avez impérativement besoin d'avoir sur vous - Copyright (c) DR
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Il fut un temps où les humains se déplaçaient difficilement, et lentement. Il n’y avait pas de voitures. Pas de TGV en grève. Pas Easyjet. On épousait quelqu’un de son village, on travaillait dans le coin, on ne divorçait pas, ou peu, on vivait en tas dans la maison familiale et on trouvait ça un peu (beaucoup) étouffant certes, mais normal.

Aujourd’hui la mamie de plus de 55 ans (moi), qui en bonne soixante-huitarde a fait les 400 coups et 18 fois le tour de la Terre, qui a travaillé à plein temps toute sa vie tout en élevant deux enfants, qui a divorcé à 50 ans comme la moitié de tout le monde, a chopé sur un site de rencontres un mec qui habite dans une autre ville. Et au lieu de faire des tartes aux pommes aux petits-enfants qu’elle n’a pas encore, elle fait des allers-retours en bas résille entre Genève et Paris, pour faire la fête du slip et plus si entente.

Deux cultures éducatives

A une époque, on découvrait les bienfaits et difficultés de la garde alternée pour les enfants de couples séparés, la progéniture passait un certain temps chez maman et un certain temps chez papa, et se partageait donc entre deux cultures éducatives et deux logements. On peut désormais étendre ces questions aux adultes qui vivent ce que l’on appelle des «relations à distance». En clair, l’un des membres du couple habite et tra- vaille dans la ville X et l’autre dans un endroit Y, parfois c’est dans le même pays (Lausanne-Sion ça va), parfois c’est à l’étranger pas trop loin (Genève-Annecy ça va aussi, Genève-Londres c’est déjà plus tendu), et parfois c’est à l’étranger loin. J’ai interviewé une fois un couple marié qui vivait sur l’axe Paris-Buenos Aires, avec deux enfants, bien avant le covid et donc la généralisation de la visioconférence, c’était admirable et... intense. Mais quelle que soit la configuration, on se retrouve avec deux maisons.

Moi je suis entre Paris et Genève, ce serait simple si la SNCF (qui prélève une partie non négligeable de mon salaire depuis 5 ans) n’était pas la SNCF, mais bon. Enfin non ce n’est pas simple, je rembobine, car il y a les valises. Oui, vous traînez une partie de votre life en permanence sur votre dos comme un escargot, et sur des trolleys à roulettes aussi, ce que l’escargot ne peut pas faire. Je précise que la partie de ma life que je traîne comprend un chat, haha. Vous avez évidemment vos affaires dans les deux villes, mais il y a toujours une base incompressible que vous avez impérativement besoin d’avoir sur vous (ordinateur, liseuse, tablette, téléphone, magazines, médicaments, veste Kooples noire que vous adorez, Doc Martens, cardio pour le sport, tablette de chocolat noir à 90%... et chat, évidemment).

Aller chez l’autre

Maintenant question: dans ces logements, on est chez qui? Chez toi? Chez moi? Ou chez nous? A moins que vous n’ayez choisi vos nids d’amour ensemble, vous vous retrouvez chez «l’autre», au milieu de son ancienne vie (tant qu’il n’y a pas la photo de l’ex-femme sur la table de nuit, ça va à peu près), dans des meubles que vous n’auriez pas forcément choisi (cette table Ikea pliable, really?), des décorations qui vous piquent les yeux (le truc en bambou avec des bouddhas là, vraiment ?) et un petit coin d’armoire pour mettre vos petites culottes et chaussettes. Et puis un jour vous avez la clef, éventuellement votre nom sur la boîte aux lettres, vous osez acheter un petit tableau, une bougie, une nouvelle planche à découper, et vous acceptez que votre amoureux fasse pareil chez vous, même si c’est vraiment de la merde les nouveaux couteaux qu’il a achetés et qu’il a mis des rosiers rouges sur la terrasse alors que vous n’aimez que les fleurs blanches. Et puis un jour, vous vous retrouvez à quatre pattes à nettoyer la cuvette des WC chez lui, et là vous vous dites que ça y est, vous êtes aussi chez vous. En fait, ce que je raconte est aussi valable pour les couples qui font le choix de ne pas habiter ensemble, mais dans deux logements séparés de la même ville. Si ce n’est que eux peuvent improviser un peu, et que quand ils s’engueulent ils peuvent aller bouder chacun chez soi, alors que nous on est obligés de trouver une solution, car à 2 heures du matin il n’y a plus de TGV. C’est bien, remarquez. Reste cette remarque économique: si chacun veut garder son chez soi, il va falloir beaucoup d’appartements. Crise de couple versus crise immobilière, aaargh, on est entrés dans le 21e siècle, mais on n’est pas sortis de l’auberge.