Shania Twain, le château d’un phénix
Une fois par mois, nous vous emmenons à travers des bâtisses et des édifices connus ou moins de Suisse. Dans ce numéro, place à La Tour-de- Peilz, avec Shania Twain et le château de Sully. L’autrice-compositrice-interprète d’origine canadienne est passée de la misère à la richesse en devenant l’artiste country ayant vendu le plus de disques au monde. Zoom sur le parcours d’une combattante.
«J’ai appris de la meilleure.» Tels sont les mots de la chanteuse Taylor Swift sur TikTok pour qualifier l’importance de la musique de Shania Twain. Elle ajoute qu’elle a commencé à s’intéresser à la country-pop grâce à la chanteuse canadienne. «C’est elle qui m’a permis de décider ce que je voulais faire. Elle était si forte, si indépendante, et elle écrivait toutes ses chansons seule. Comme artiste, je ne peux qu’ambitionner de devenir comme elle.» Forte, Shania Twain l’est assurément. Sa vie rappelle d’ailleurs la célèbre phrase de Nietzsche: «Ce qui ne me tue pas me rend plus fort». «J’ai été une enfant pauvre, puis une artiste en difficulté pendant toutes ces années jusqu’à ce que cela se produise enfin, confiait la reine de la pop country à l’Associated Press. Ça a changé ma vie et ma carrière aussi.» Shania Twain a vendu plus de 80 millions d’albums à travers le monde et remporté cinq Grammy Awards. L’album Come On Over, est le plus vendu (40 millions) de l’histoire de la musique country. Mais reprenons depuis le début.
Une enfance difficile
Shania Twain est née Eilleen Regina Edwards le 28 août 1965 à Windsor, en Ontario (Canada), d’une mère canadienne et d’un père américain. Le couple se sépare lorsque la petite Eilleen et sa sœur aînée n’ont que deux et quatre ans. Sa mère épouse en secondes noces Jerry Twain, un amérindien Ojibwé alcoolique et violent qui décide d’adopter les fillettes légalement. Aux côtés de ce père adoptif, elle découvre les Carpenters, les Supremes, et Stevie Wonder. Elle apprend aussi à aplatir sa poitrine pour éviter qu’il n’abuse d’elle. «Je portais un soutien-gorge trop petit pour moi, je me faisais discrète jusqu’à ce que je ne ressemble plus du tout à une fille», confie-t-elle dans sa biographie. La manœuvre ne réussit pas. Jerry Twain commence à abuser de sa fille alors qu’elle n’a que dix ans. Outre les abus sexuels et psychologiques, l’enfant doit aussi affronter des températures hivernales extrêmes – le baromètre plonge jusqu’à 40 degrés en dessous de zéro dans la ville minière de Timmins – l’estomac vide. Les Twain vivent en effet dans le dénuement le plus total, ce qui ne les empêchent pas d’avoir trois autres enfants. La famille s’entasse dans une seule pièce non chauffée. Eilleen dort à même le sol, sur une dalle en béton, et mange rarement à sa faim. Pour survivre, elle apprend à chasser, couper du bois et à pister et piéger des lièvres. Elle n’a que 8 ans lorsque, contre une poignée de dollars, elle se produit de minuit à deux heures du matin dans des pubs sordides.
A 18 ans, elle décroche son diplôme d’études secondaires et déménage à Toronto pour entamer une carrière musicale. Quatre ans plus tard, sa mère et son père adoptif décèdent dans un accident de voiture. Eilleen doit interrompre sa carrière pour élever seule ses jeunes frères et sœurs. Rien n’abat cependant son moral d’acier. Courageuse, elle retrousse ses manches et réorganise sa vie. Ce n’est qu’une fois les «enfants partis» qu’elle s’autorise à nouveau à poursuivre ses rêves. «Quand ils sont partis, je me suis sentie comme une femme de 45 ans dont les enfants avaient quittés le nid pour aller à l’université, dira-t-elle plus tard. J’avais ma vie entière à vivre. Je n’avais plus à cuisiner et à faire le ménage pour tout le monde. Je n’avais plus de factures à payer à part les miennes. J’ai décidé que je voulais me lancer.» Elle part seule pour Nashville en 1992 et, dans la foulée, se rebaptise Shania («je suis mon chemin» en ojibwé). Sa route croise celle de Robert «Mutt» Lange. De dix-sept ans son aîné, il devient le Pygmalion et l’homme de sa vie pendant quatorze ans. Ensemble, ils forment l’un des power couples les plus influents du monde de la musique et génèrent une fortune estimée entre 350 et 500 millions de dollars. Le conte de fée prend fin le jour où Shania Twain, malade et alitée, apprend que son mari la trompe avec sa meilleure amie. Cette trahison brutale réveille d’anciennes blessures. «Quand j’ai perdu Mutt, c’était aussi intense que de perdre mes parents. C’était comme une mort, alors je me suis dit que je ne m’en remettrai jamais.» La chanteuse se relève pourtant et retrouve quelques années plus tard l’amour dans les bras du Vaudois Frédéric Thiébaud, qui n’est autre que l’ex-mari de son ancienne meilleure amie!
Où retrouve-t-on, en Suisse, la trace de cette âme dotée d’une résilience peu commune? En 1998, Shania Twain et Mutt Lange achètent le château de Sully et ses dépendances. «L’endroit est fameux, commente le journaliste Luc Debraine. Dessiné à la fin du XIXe par un architecte genevois pour un aristocrate français, le château n’en est, en fait, pas un. C’est une grosse maison de maître posée sur un belvédère naturel, à 300 mètres de la rive lacustre.» L’asymétrie et la recherche du rationnel caractérisent le plan d’origine de cette demeure confortable de 46 pièces, ainsi que l’attestent les gravures d’époque du bâtiment. C’est bien plus tard, en 1929, que le lieu devient «château» grâce à l’ambition du nouveau propriétaire, un riche industriel. L’architecte de La Tour-de-Peilz, Ferdinand Kurz, se charge alors des travaux qui donnent au bâtiment l’image qu’il a conservé jusqu’à nos jours. Celui-ci reçoit une annexe à l’est, un porche au nord et surtout, la piscine semi-enterrée, à l’ouest. Tout le confort actuel et les luxueuses salles de bain sont également installées à ce moment-là. Shania Twain habitera le château jusqu’en 2006.