Quel avenir pour les logements seniors?
En pleine mutation, le marché résidentiel se redessine peu à peu pour s’adapter à une population sans cesse plus vieillissante. Entre opportunités et contraintes, zoom sur cette nouvelle offre très attendue mais encore limitée.
Huguette a 94 ans et vit seule dans un appartement du centre-ville mais ne peut plus monter les trois marches de son allée depuis qu’elle a besoin d’un déambulateur. Josette et George, tous deux 80 bougies à leur actif, doivent quant à eux se dépêcher de vendre leur maison familiale, la vue altérée de Monsieur ne leur permettant plus de conduire et d’accéder aux commodités. Citons encore le cas de Michel, 89 ans, dont l’immeuble est en rénovation, l’ascenseur hors-service, alors qu’il habite au sixième étage et ne peut plus compter sur ses genoux comme autrefois...
Une poignée d’exemples parmi tant d’autres qui illustrent la situation dans laquelle se trouvent nos aînés aujourd’hui: contraints d’habiter des logements inadaptés à leur âge avancé et d’avoir pour seules alternatives des biens hors de prix sur un marché asséché ou des établissements médico-sociaux (EMS) peu attractifs comme dernière adresse. En résumé, rien de réjouissant.
Toujours davantage de 65 ans et +
Ce constat posé, parlons d’avenir. Puisque tout le monde aura tôt ou tard constaté que la population suisse est vieillissante et que le contexte ne va pas en s’arrangeant, les prévisions viennent toutefois encore appuyer les théories les plus alarmantes. En effet, si la Suisse compte à l’heure actuelle 1,7 million de personnes de plus de 65 ans, ce chiffre devrait monter à 2,7 millions d’ici 2050, voire doubler en ce qui concerne la population des seniors de plus de 80 ans. Mais alors, comment répondre à une telle demande dont les besoins sont si spécifiques sur le marché du logement?
La question a été abordée lors d’un webcast organisé par le cabinet de conseil Wüest Partner mi-juin et la conclusion est sans appel: il faut offrir une nouvelle forme d’habitat aux seniors (abordable, adaptée, bien placée, avec des petites typologies de biens...), et vite. «Typiquement, plus l’âge avance, plus la taille du ménage diminue, et on estime que la part des ménages d’1 ou 2 personnes augmentera de 24% d’ici 2050, soit de 660’000 ménages. Il deviendra donc le type de ménage le plus représenté (75%) et nous devrons, en réponse, construire des logements plus économes en m2», commente Alexandra Nievergelt, manager chez Wüest Partner. La demande est donc bel et bien là, claire et définie, reste à trouver l’offre.
Des investisseurs se lancent enfin Or, sur le marché immobilier, comme nous le disions en introduction, cette demande de logements pour seniors est pour l’heure plutôt sous-exploitée, voire négligée. Néanmoins, certains investisseurs commencent à sortir du bois et à se pencher sur ce segment de niche. À l’image du Groupe PP Holding (qui possède les marques Visilab et Pharmacie Principale) qui s’est décidé en 2020 à créer une filiale nommée RP Résidences Principales SA, dédiée exclusivement au développement et à l’exploitation de résidences seniors avec services.
«Pour développer notre concept, nous nous sommes inspirés des zones bleues sur la planète où il y a une concentration de centenaires bien plus élevée que la moyenne et nous avons repris les caractéristiques de longévité qui leur sont communes (les interactions sociales, la nutrition et l’activité physique/ cognitive). Nous travaillons avec cette base pour proposer des appartements à la croisée des chemins entre l’hôtellerie, la santé et le logement», témoigne François von Ernst, fondateur de la société. Leur premier projet suit son cours à Crans (VD) et ouvrira dès l'automne 2025.
Neuchâtel prend les devants
Dans le canton de Neuchâtel, les autorités ont décidé elles aussi de mettre les bouchées doubles comme l’indique Nicole Decker, cheffe de l’office cantonal du logement de Neuchâtel: «Nous avons réalisé une planification médico-sociale avec une liste de mesures à mettre en place dans le canton et l’une d’elles concerne les appartements avec encadrement.» Autrement dit, des appartements de 2 ou 3 pièces (50 à 70 m2), possédant une salle commune de 20 m2 minimum, respectant les normes SIA 500, dotés d’un service d’alarme 24h/24, proches des transports publics comme des commodités et dont la déclivité à l’extérieur de l’immeuble est de moins de 6%.
Des critères précis (et surtout nombreux) qui répondent enfin aux besoins des seniors et sont assortis de prestations telles que des animations et des visites de courtoisie chez l’habitant. «Sur cette base, nous avons établi avec les communes des objectifs à atteindre d’ici 2030-40 et l’idée serait que 4,2% des seniors puissent facilement trouver un appartement avec encadrement (les bâtiments reçoivent un label par l’office compétent). 1800 devraient voir le jour d’ici là et nous en sommes à 555 pour le moment», souligne Nicole Decker.
Parmi les exemples déjà présents dans le canton, on retrouve notamment les immeubles de La Charrière à la Chaux-de-Fonds, Jämes Paris à Peseux, Les Vignes du Clos à côté d’un petit EMS, La Capitane à la Grande-Béroche, La Fleur d’Eau à St-Aubin-Sauges ou encore le coeur de Bella Vista à Neuchâtel. D’autres sont en attente de labellisation car encore au stade de projet, tels que les Petits-Clos à Fleurier ou Technicum 11 au Locle.
En résumé, 720 appartements avec encadrement sont attendus à Neuchâtel ces prochaines années. «Même si le fossé pour arriver à une offre suffisante est encore énorme» a avoué la responsable de l’office du logement, au moins les choses bougent sur un marché immobilier pourtant en pleine pénurie. Une bonne nouvelle pour Huguette, Josette, George et Michel...