Nos chers voisins
À moins d’avoir beaucoup (beaucoup) d’argent et de posséder une villa individuelle avec un grand terrain, vous avez des voisins. Bienvenue au club!

Lorsque nous sommes arrivés de Tchécoslovaquie en 1968, nous nous sommes installés dans le quartier populaire des Palettes à Genève, beaucoup d’immeubles, beaucoup d’étages, et donc beaucoup de... voisins. Et il faut comprendre assez rapidement deux - trois choses sur le voisinage en Suisse. Vous connaissez l’épisode que l’on raconte à toute personne tentée de s’installer dans notre beau pays: un nouvel habitant arrive dans un immeuble et organise une fête pour faire connaissance. Le voisin du dessus arrive avec une bouteille, on pa- pote, on écoute de la musique, on boit des coups c’est sympa. À 22 heures pile, le voisin du dessus retourne dans son appartement et appelle la police pour se plaindre de tapage nocturne dans l’appartement du dessous. Légende ou vérité? Peu importe, cela dit beaucoup de la Suisse. Et la première règle absolue à respecter est: «Tu me déranges pas, je te dérange pas». Cela constitue une sorte de «contrôle social», comme dans un open space au travail, chacun observe et se sait observé.
Un joyeux bordel
Bon, aux Palettes, on s’arrêtait au premier pour faire pipi chez les copains car on ne tenait plus, on s’arrêtait au troisième pour prendre un goûter, il n’y avait pas de téléphone portable, pas de code d’entrée, la journée, c’était un joyeux bordel. Mais le soir, on restait quand même chacun chez soi, et au calme s’il vous plaît. Je me souviens de ma mère un soir de Noël, toute énervée parce que le voisin était venu en plein réveillon sonner pour demander du sel ou de l’huile je ne sais plus... ah si, un tire-bouchon! Elle l’avait engueulé comme du poisson pourri, le pauvre.
Plus tard, beaucoup plus tard, dans un autre quartier, j’ai reçu un mot de félicitations des voisins pour la naissance de ma fille, du style: «Bienvenue à la petite, avec comme prière qu’il n’y ait pas plus de bruit!» Authentique hein! Et aujourd’hui quand j’explique à mon compagnon parisien que non, il ne peut pas percer un mur le dimanche à 8h30 sous prétexte qu’il se lève tôt et qu’il est en forme le matin, il hallucine. Alors il prend le sac poubelle pour aller vider les bouteilles en verre et je dis: «tss tss, ça non plus, tu attends 10 heures». Et non, après 22 heures tu ne peux pas écouter Should I stay or Should I go des Clash à fond. A Paris, notre voisin fait des soirées eighties qui commencent vers minuit et se hurle dessus régulièrement avec sa compagne sur le palier aux mêmes heures. La routine. Alors que chez nous, pour résumer, entre voisins on s’entend bien si on ne s’entend pas trop.
Pas de séparation
Après, il n’y a pas que le bruit. Lorsque j’ai encore déménagé, (oui j’ai déménagé souvent) dans un appartement neuf au 4e en location, lors de la visite d’entrée, je constate avec stupeur que les balcons n’ont pas de séparation avec les voisins. Réponse de l’architecte: «C’est plus convivial». Heu oui monsieur l’architecte, donc je peux me balader à poil sur mon balcon pendant que mon voisin, fonctionnaire à l’ONU, reçoit des hôtes prestigieux en cravate pour un dîner? Même si on s’entend bien, ça ne va pas jouer. Nous avons mis une séparation. Il y a la question des espaces communs aussi. Les paires de chaussures de sport pleines de boue sur le palier, c’est autorisé? A priori non. Donc le vélo, la poussette, les poubelles, les sacs à commissions non plus. Mais s’il y a quelqu’un qui en met quand même, on dit quelque chose ou pas? Ben, c’est compliqué. Si je ne dis rien ce n’est pas juste, et si je dis quelque chose, on va se fâcher et ce sera fini pour garder le courrier et la clef et «s’arroser les plantes parmi». Il faut donc faire appel à une qualité très helvétique: le bon sens.
Un voisin c’est quoi en fait? Ce n’est ni de la famille (on n’est pas du même sang), ni un ami (on ne l’a pas choisi), ni un collègue (on ne travaille pas ensemble), c’est une personne qui par hasard, habite à côté de chez vous. Aujourd’hui je suis en copro, nous sommes cinq foyers et j’ai de la chance, j’aime mes voisins! Je vous glisse un conseil: pour créer un esprit d’équipe, il y a une stratégie largement éprouvée dans le management ou à la guerre. Se trouver un ennemi commun: par exemple, la régie! Se plaindre ensemble des loyers abusifs, des entreprises qui ne font pas le boulot, du chauffage trop bas, du fait que le répondeur de la régie est enclenché dès 15 heures. Ça fait un bien! Et ça marche à tous les coups.