Minecraft, un vivier de futurs architectes?
À l’image de nos bons vieux LEGO, le jeu vidéo le plus joué au monde est en passe de donner le goût de l’architecture aux jeunes d’aujourd’hui, pour la plupart devenus accros à ce monde virtuel où l’on construit soi-même sa propre ville.
C’est bien connu, la vérité sort toujours de la bouche des enfants... Alors si le vôtre passe des heures à jouer à Minecraft en prétextant que cela est éducatif et non une énième perte de temps, croyez-le. Ce jeu vidéo sorti en 2011 et caractérisé par un monde cubique, plonge le joueur dans un système de blocs qu’il peut piocher, créer, détruire, pour construire à l’infini toutes sortes de structures, en collaborant ou non avec d’autres joueurs.
Pourtant quelque peu vintage, le concept fait malgré tout fureur dans les cours de récréation et ne comptait pas moins de 140 millions d’utilisateurs mensuels actifs en 2021. Étant devenu au passage le jeu vidéo le plus joué de l’histoire, son esthétisme épuré cacherait donc en réalité un univers complexe, de cycles infinis d’exploration, de construction et de création très intéressants pour nos chères têtes blondes. Il semble ainsi légitime de se poser la question suivante: Minecraft serait-il en train de créer une génération d’architectes en herbe?
Un domaine qui se gamifie
«Ce que l’on peut affirmer c’est que tout comme les pièces de bois, les LEGO et SimCity auparavant, ce type de jeux vidéo permet de développer des compétences de visualisation dans l’espace et le plaisir de construire des choses qui seront récurrents dans le profil des étudiants en architecture», décrit Olivier Meystre, professeur à la Haute école du paysage, d’ingénierie et d’architecture de Genève (HEPIA). En effet, Minecraft apprend à son utilisateur de nombreuses choses. Parmi elles: la gestion des distances, l’utilisation de matériaux disponibles (trouver un mouton pour avoir de la laine, des arbres pour avoir du bois, des mines pour de la pierre et des métaux...) ou encore la prise en main de projets. D’ailleurs, saviez-vous que le verre des fenêtres peut être généré en chauffant des blocs de sable par exemple? Le joueur de Minecraft, lui, le sait.
Mais outre ces diverses compétences techniques, le joueur prend également une longueur d’avance en ce qui concerne les maquettes numériques, de plus en plus fréquentes dans la profession. À l’image du BIM (modélisation de l’information du bâtiment) qui se déploie dans le secteur de la construction et pourrait devenir un prérequis à l’avenir. Olivier Meystre nuance cependant ce point: «On assiste effectivement à une sorte de gamification de nos outils professionnels. Le saut technologique est important mais on remarque également un retour en force des maquettes en carton ou papier, ce qui contredit l’idée que tout n’est plus que virtualité.» Physique ou fictif, une chose est sûre, le métier d’architecte plaît. Si bien que les différentes formations proposées en Suisse romande voient leurs auditoires pleins à craquer chaque année. Une formation qui demande pourtant des compétences aussi variées qu’exigeantes (scientifiques, artistiques, techniques et culturelles), un travail de longue haleine, et ce, durant plusieurs années pour une rémunération à la clé pas toujours très élevée. «Qu’il y ait autant de jeunes qui s’intéressent à l’architecture est pour le moins étonnant, un peu fascinant et peut-être bien lié au fait que ce métier nous ramène à notre enfance, notamment par ce côté ludique que l’on retrouve chez Minecraft», s’interroge l’architecte chargé de cours à l’HEPIA.
L’occasion de mieux se comprendre
De son côté, sa collègue chargée de cours à HEPIA, Blanca Vellés, voit en ce jeu une façon innovante de partager l’urbanisme avec des personnes non familières au langage architectural. «Je pense que les professeurs doivent être ouverts à tous ces nouveaux usages pour entrer en contact avec les étudiants qui n’ont ni le même âge, ni le même référentiel générationnel et culturel. Il faut néanmoins les rendre attentifs sur certains éléments naturels comme les mouvements du soleil en ville qui sont de l’ordre du ressenti que la digitalisation ne peut pas complètement reproduire », souligne l’architecte-urbaniste.
Bien plus avancés que nous sur la portée éducative de Minecraft, les Américains, ou plus précisément l’American Society of Landscape Architects (ASLA), a de ce fait initié un projet pilote en 2021, mettant en compétition des collégiens sur une conception paysagère réalisée via le célèbre jeu vidéo. Des atouts pédagogiques pour le plus grand nombre que l’association Block By Block soutient elle aussi, en partenariat avec l’ONU et Mojang Studio (le créateur de Minecraft). En tant qu’organisation à but non lucratif, cette dernière permet ainsi aux habitants de villes en retard sur les questions d’urbanisme (plus de 50 pays) de matérialiser les besoins de la population.
«Block by Block de Minecraft est un outil de participation communautaire pour la conception urbaine permettant d’impliquer des personnes de toute origine partout dans le monde. Sur ce point, je trouve que Minecraft est exemplaire et devrait être enseigné à nos futurs architectes pour cette dimension collaborative et intégrative.», confirme Blanca Vellés. Vous l’aurez compris, la prochaine fois qu’un enfant vous parlera de Minecraft, il ne s’agira plus de lever le sourcil en signe d’incompréhension ou de s’indigner d’une surdose d’écran mais bel et bien de vous demander si vous ne discutez pas avec une apprentie Inès Lamunière ou le Bernard Tschumi de demain…