Chez soi

Ma chambre en EMS

Non, je n’y suis pas encore. Mais un jour, peut-être que je finirai ma vie dans un EMS. À quoi ressemblera ma chambre? Comment faire pour être chez soi quand on n’est plus chez soi?

Peut-être qu'un jour je finirai ma vie dans un EMS.
Peut-être qu'un jour je finirai ma vie dans un EMS.
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Pour un récent reportage, je suis allée accompagner durant une journée une aide-soignante dans un EMS vaudois. Au-delà de l’immersion, parfois éprouvante, dans ce métier difficile et dans la vie et l’intimité des résidents, ce genre d’expérience questionne beaucoup sur soi-même. En ce qui me concerne, ce n’est pas pour tout de suite mais hem... comment dire, j’ai déjà un pied (plein d’arthrose) dans la tombe et l’autre qui glisse gentiment, donc forcément, je me projette un peu. Mes parents sont décédés sans avoir été placés en EMS, et je n’ai pas eu à faire ce passage avec eux. Mais moi, comment le vivrais-je?

Premier constat, je ne fais pas partie des gens qui vont s’accrocher à la maison. Dans mon livre Rendez-Vous, il y avait cette phrase: «Personnellement, j’ai bien l’intention d’aller taper les 90 ans, avec deux objectifs: faire l’amour jusqu’au bout et ne pas faire chier mes enfants, jusqu’au bout aussi.» Des objectifs nobles et ambitieux n’est-ce pas? La question est de savoir s’ils sont compatibles: si je ne veux pas peser sur le quotidien de mes enfants peut-être va-t-il falloir que j’aille un jour en EMS. Mais si je vais en EMS, pourrais-je vraiment faire l’amour jusqu’au bout? Haha, vaste question.

La taille des chambres

Deuxième constat, les chambres sont souvent petites et à la limite, ça me va. Mais elles sont souvent doubles aussi. Et ça, non. Ah mais non. Ah mais jamais. À l’hôpital oui, parce qu’on est censé en sortir, mais à l’EMS, être deux dans 15 mètres carrés, ça ne veut pas jouer. Même si la voisine est sympa, ce n’est pas la question; je veux soit être seule, soit au minimum choisir la personne avec qui je partage mon nouveau logis. Un jeune homme intelligent et bien foutu à la rigueur. Mais il y en a assez peu qui habitent dans ce genre d’établissement. Nan, je rigole. Avec mon amoureux à l’extrême limite oui, mais même, dans 15 mètres carrés on finirait probablement en fait divers à la une de 20 Minutes. «Un couple de pensionnaires interpellé pour violences conjugales réciproques dans un EMS». D’ailleurs, le directeur de l’établissement que j’ai visité, m’a confié que lorsqu’il y avait une admission de couple, la plupart du temps Madame et Monsieur demandaient à ne surtout pas être dans la même chambre!

Un environnement médical

Troisième constat, je personnaliserais à fond, parce que sinon c’est quand même un environnement médical un peu déprimant. Mes grands posters de nus de Schiele aux murs, et tant mieux si les visiteurs sont choqués, mes livres (bon il y en a des milliers ça va être un problème, chez moi j’ai fait construire une étagère-bibliothèque au plafond pour pouvoir les caser et dormir avec eux, c’est vrai hein), un petit bureau pour travailler et faire des puzzles, mon canapé baroque, une TV, mes petits souvenirs de voyages, dont ma statuette de Dieu de la fertilité égyptien (et si les gens sont de nouveau choqués re-tant mieux), mes dossards et médailles de marathon (quand je serai en déambulateur je pourrai me dire qu’un jour j’ai quand même fait ça), mes têtes de mort en coussin, bougies, déco (et si les gens trouvent que ce n’est pas adéquat dans un tel lieu re-re tant mieux), les deux bouteilles de vin achetées le jour de la naissance des enfants et devenues des bougeoirs, ma litho de Picasso achetée il y a 30 ans pour 1500 francs, un verre à vin en cristal de Bohème, mes petites statuettes d’anges pour m’accompagner si je meurs sans prévenir, des petites photos de famille rigolotes et emballé c’est pesé.

Quatrième constat, je ne partirai jamais sans mon chat, oui, il a déjà 10 ans et dans 20 ans, il en aurait 30 ce qui n’est pas très réaliste; mais d’abord c’est un chat exceptionnel alors on ne sait jamais, et puis je risque d’en avoir un autre si ça se trouve. Bref je ne déménage pas dans un établissement qui n’accepte pas les animaux. Comment? Ça s’annonce compliqué mon truc? Certes. Alors il y a deux solutions, mourir tranquillement avant, ou rester en pleine forme et à la maison, mais autonome jusqu’au bout et s’éteindre comme une bougie, heureuse d’avoir pu brûler toutes ces années. Pour le moment je travaille activement à la deuxième solution. On en recause dans 10 ou 20 ans.