Loyer à la pièce ou au m2, le débat est lancé
Usine à gaz ou idée de génie, une motion genevoise propose la reconsidération du calcul des surfaces brutes de plancher (SBP) pour notamment abolir certaines inégalités entre locataires.
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Comme l’a martelé le conseiller d’Etat en charge du territoire, Antonio Hodgers, lors de la 16e «Journée du logement» à Genève: nous vivons dans une nouvelle réalité. Celle d’une société où les couples se séparent davantage, élevant séparément leurs enfants, où le télétravail remplace peu à peu les bureaux et les cafétérias, où la population vieillit plus vite qu’elle ne se reproduit... Une évolution qui a ses avantages et ses inconvénients mais qui se veut surtout rapide. «Nous allons devoir nous adapter et c’est le rôle des politiques publiques d’anticiper ces futurs usages, d’avoir un temps d’avance et de planifier, même parfois jusque dans l’organisation de l’espace dans nos foyers», s’est exprimé le magistrat.
Se convertir à la pièce neutre
C’est pourquoi, à l’heure où 40% des habitants du canton de Genève vivent seuls, devrons-nous repenser notre organisation en termes de logement? Mi-janvier, la «Journée du logement» qui se tient tous les deux ans depuis les années 1990 a donc été l’occasion de se pencher, entre autres, sur cette question. Parmi les nombreux panélistes à avoir pris la parole, Sophie Delhay, directrice de la section architecture de l’EPFL, a ainsi pu présenter l’objet de ses recherches.
«Les changements sociétaux au fil du temps ont rendu nos logements plus efficients et économiques mais, à contrario, leur ont fait perdre en qualité. La notion de rentabilité a peu à peu défini chaque pièce avec un usage spécifique et une taille plus ou moins stricte qui lui est associée. Si bien que notre travail, en tant qu’architectes, se compare à celui d’assembler un puzzle en combinant des pièces ensemble», décrypte l’oratrice. Un jeu ni amusant ni viable à long terme selon elle, au vu des foyers qui se sont «atomisés» et qui demandent aujourd’hui une réorganisation de nos espaces de vie.
Sophie Delhay s’est du coup attelée à développer l’idée d’une «pièce neutre». La chercheuse invite d’ailleurs les promoteurs immobiliers et la population à réfléchir non plus en juxtaposant des appartements mais en combinant des pièces. Une barre d’immeuble auparavant composée de 55 logements offrirait dorénavant plutôt 200 pièces désassignées, qui ne présageraient ni de leur usage, ni de leur futur occupant. Le but serait également de mutualiser certaines surfaces et de jouer sur leur taille modulable pour évoluer dans le temps en fonction des besoins.
En route vers le changement?
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Si le concept a pu faire sourire quelques spectateurs dans l’assemblée, il n’en reste pas moins qu’il a le mérite de remettre à plat le système actuel qui ne «correspond plus à nos usages» en 2025 et de proposer une solution déjà mise en pratique dans quelques bâtiments, en France notamment. Cette ouverture du champ des possibles a permis d’enchaîner sur un débat lui aussi quelque peu tranchant, qui constitue le coeur d’une motion proposée par le Grand Conseil genevois en novembre dernier, nommée «création de logements: compter les mètres carrés plutôt que les pièces».
En effet, selon ses auteurs, il se trouve que «la notion de pièce n’est pas précise du tout». Or, pour rappel, à Genève, selon la Loi sur les constructions et les installations diverses (LCI), une pièce doit faire au minimum 9 m2 mais on ne précise pas, contrairement à la pratique vaudoise (LPPL), la taille maximale. De même, la cuisine est considérée comme étant une pièce à Genève, ce qui n’est le cas nulle part ailleurs. Tandis que typiquement, à Neuchâtel, seuls les chambres et le salon sont comptabilisés comme des pièces. En clair, chaque canton voit les pièces différemment et il est courant à Genève qu’un appartement de 3 pièces de 150 m2 soit considéré de la même manière qu’un appartement de 3 pièces mesurant 100 m2.
Un débat qui divise encore
Conscients de ces inégalités, plusieurs acteurs du monde immobilier genevois ont ainsi pu débattre du bien-fondé de cette proposition lors de la «Journée du logement». Valentine Pillet tout d’abord, associée du bureau d’architecte Typology, a défendu cette volonté de changement. «Une inversion du critère économique déterminant pour le loyer dans les nouveaux quartiers serait souhaitable car elle donnerait plus de souplesse aux concepteurs dans la recherche de typologies. Cela permettrait de réfléchir autrement, d’avoir plus de diversité et puis l’évolution sociétale ne va pas s’arrêter de sitôt. Nous n’habitons pas de la même manière aujourd’hui que demain, donc pouvoir enlever ou ajouter des surfaces plus facilement et cloisonner ou décloisonner un espace déjà construit sera nécessaire», a-t-elle affirmé.
Caroline Renold, juriste à l’Asloca, a rebondi sur cet argumentaire: «Penser en m2 ne fait pas de sens pour la population. On ne cherche pas un 78 m2 mais un 4 pièces car cela permet de mieux appréhender l’espace où l’on vit et de rapporter le loyer à ses besoins en fonction de la situation du ménage (famille, couple, retraités...). Surtout qu’on ne sait pas quel impact cette nouvelle règle pourrait avoir sur le prix des logements qui est, pour rappel, déjà trop cher pour 56% des Genevois.»
Après quelques prises de positions échangées dans les deux camps, l’architecte cantonal, Francesco Della Casa s’est chargé de clore le débat ainsi: «En réalité, entre m2 et pièce, il n’y a pas de bonne solution toute faite. Notre organisation de l’espace a dans tous les cas des effets pervers. Cette journée aura justement permis d’attirer l’attention sur ces points et de parcourir certaines pistes d’améliorations.» La question reste donc ouverte.