Innovation

Les enchères immobilières se digitalisent

Autrefois à la marge, ces ventes se réinventent à l’ère du digital grâce à des procédures venues d’ailleurs déjà très abouties.

De gauche à droite: Jorge Robelo, Bertrand Rassat et Rodolphe Taverne de Primextate (CEO).
De gauche à droite: Jorge Robelo, Bertrand Rassat et Rodolphe Taverne de Primextate (CEO).
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Parmi les initiés, on parle pour ce genre de transactions de «ventes interactives». Il s’agit d’enchères digitales dites «non-contraignantes». Si dans notre pays cette pratique émerge à peine, sous d’autres cieux, elle fait depuis longtemps partie du quotidien du monde de l’immobilier. En Australie, la moitié des transactions se traitent sur ce mode. Aux États-Unis, cette formule est également ancienne. En rachetant Concierge Auctions fin 2021, Sotheby’s est devenu le leader mondial de ce segment. La valorisation qui en a découlé s’est chiffrée en centaines de millions de dollars avec en point d’orgue la vente de ce qui était alors la propriété la plus chère aux États-Unis (une villa à Bel Air estimée à 295 millions de dollars). En Suède, ce sont près de 90% des transactions qui s’effectuent sous cette forme. À Dubaï et à Singapour, cette méthode est même utilisée pour les nouveaux développements immobiliers.

Who's who romand

«Plus près de nous, le cas de la France est instructif dans la mesure où nos deux écosystèmes sont assez proches. Or, dans l’Hexagone, on observe une forte progression de ces ventes interactives immobilières. Il y a trois ans, on ne recensait que trois opérateurs. Aujourd’hui, ils sont dix et ça ne cesse de croître. Pour leur part, les investisseurs sont aussi bien privés qu’institutionnels», révèle Bertrand Rassat, le CEO de Primextate.

Basée à Genève, cette société B2B s’adresse uniquement aux courtiers qui obtiennent ensuite des mandats exclusifs. Primextate a développé sa propre plateforme baptisée «PrimeAuctions». Il s’agit de l’un des rares indépendants à opérer en Suisse romande. Parmi les autres maisons, on citera SwissRoc Properties qui est implanté à Genève, sur Vaud et à Verbier, mais qui se concentre sur le marché du très haut de gamme.

Un exemple de vente récente de Primextate.diaporama
Un exemple de vente récente de Primextate.

Quel intérêt?

En quoi consiste réellement ce modèle immobilier? Pour la plupart d’entre nous, les enchères de ce genre étaient jusque-là le fait d’offices des poursuites qui tentaient de récupérer de l’argent pour couvrir les créances de privés ou de sociétés devenus insolvables. Désormais, les fondamentaux ont changé. Première différence d’envergure: les propriétaires qui optent pour ce canal ne sont aucunement des personnes aux abois. Elles font de leur propre gré le choix de recourir à ces plateformes dématérialisées afin d’optimiser le prix de vente. La liberté que celles-ci leur offrent est considérable. Concrètement, lesdits propriétaires ne sont pas obligés de vendre leur bien, même quand les enchères sont achevées. L’étape du passage devant le notaire constitue une assurance supplémentaire à ce niveau. De leur côté, les courtiers traditionnels proposent des solutions de vente approchantes, mais ces dernières sont en revanche très opaques.

Rien à cacher

«La plus-value majeure des ventes interactives tient à leur transparence. Elles permettent de recueillir les intentions d’achat. En amont, les acquéreurs intéressés peuvent découvrir les biens proposés en ligne. Une visite est souvent organisée sur site. Pour le vendeur, cette transparence est avantageuse car elle stimule la concurrence, ce qui fait grimper les prix», précise Bertrand Rassat.

En matière d’enchères digitales, deux scénarios prédominent. Le premier est celui d’un bien resté longtemps sur le marché. «L’approche interactive permet de redynamiser la vente. Par ce biais, on peut aussi rouvrir la discussion sur le prix avec le propriétaire. Le deuxième scénario voit plusieurs acheteurs se profiler sur un même bien. La vente interactive instaure entre eux une saine concurrence et le propriétaire maximise de la sorte sa vente», ajoute Bertrand Rassat.

En termes d’innovations, si les ventes traditionnelles ne fournissaient que le prix auquel était vendu un bien, leur version interactive propose pas moins de trois prix différents: le prix affiché (qui est le montant «officiel» demandé), le prix souhaité (soit le minimum en-dessous duquel le bien ne partira pas) et le prix de départ (qui est un prix d’appel destiné à appâter les enchérisseurs).

Un futur à inventer

«Avant toute chose, nous nous assurons toujours du sérieux des acquéreurs potentiels. Une société financière agissant en totale indépendance jauge leur solvabilité et définit le montant maximal de la mise à laquelle ils sont autorisés. Cette phase de due diligence est confidentielle. Aucune donnée ne nous est communiquée. Une fois leur profil validé, les acheteurs peuvent accéder à la salle des ventes virtuelle. L’anonymat avant, pendant et après les enchères est ainsi assuré à toutes les parties», complète Bertrand Rassat.

Pour intéressant qu’il soit, ce modus operandi reste méconnu, aussi bien du grand public que des professionnels. Au travers de formations gratuites et de présentations ciblées, Primextate s’emploie à donner à en voir les atouts. L’élargissement à des biens de moindre valeur, la numérisation des démarches notariales ou le recours aux cryptomonnaies constituent autant de pistes qui viennent enrichir encore l’horizon de ces ventes digitales non contraignantes.

LE CHAMP DES POSSIBLES
Primextate croit beaucoup au potentiel de son modèle. En dix-huit mois, le nombre de transactions qu'il a finalisées est passé de cinq à une dizaine qui sont en vue actuellement pour les quatre mois à venir. L'entrée de gamme se situe autour de 1,5 million de francs. Mais la plupart des objets mis à l'encan explosent cette limite (nous n'obtiendrons pas plus de détails à ce niveau). Le terrain de jeu de Primextate reste pour l’essentiel romand, même s’il déborde sur les Alpes françaises. Les perspectives qu’esquissent ses fondateurs se veulent beaucoup plus larges avec l’ambition de devenir le numéro un en Europe. De fait, ils ont déjà conclu des partenariats en Angleterre et aux Pays-Bas. Une levée de fonds est envisagée afin de financer cette expansion. Maîtriser sa propre plateforme constitue la clé du succès. «J’ai évolué dans la fintech à l’international. Avec mes associés, je suis familiarisé à ce type d’environnements. La concurrence des majors comme Sothebys ne m’effraie pas. Il ne fait aucun doute qu’elles vont lancer leurs plateformes. Ce sera en fait plutôt bénéfique pour nous, car le marché sera plus vite amené à maturité», pondère Bertand Rassat.