Métiers atypiques

Les cordistes, ces dompteurs du bâti

Du haut de leur baudrier, ces ouvriers de l’ombre œuvrent chaque jour à réparer, nettoyer et sécuriser les endroits les plus difficiles d’accès de nos villes. Portrait de cette profession méconnue mais ô combien nécessaire.

Les cordistes doivent être polyvalents et s'adapter à toutes les situations
Les cordistes doivent être polyvalents et s'adapter à toutes les situations - Copyright (c) Acro Bat
diaporama

Mystérieux, périlleux ou encore vertigineux... le métier de cordiste est rarement décrit comme étant glorieux. Lafaute à une méconnaissance de cette profession qui nous semble si lointaine. Les pieds sur terre, nous n’imaginons pas les risques que prennent ces hommes et femmes pour entretenir notre bâti. Alors accrochez votre harnais et découvrez ce quotidien hors du commun.

Une utilité insoupçonnée

Pour cette plongée dans le milieu des cordistes, il fallait rencontrer l’une des rares entreprises qui occupe ce marché de niche dans la région. En l’occurrence Acro Bat, basée à Puidoux (VD). Une équipe de spécialistes à la fonction «simple»: trou- ver des solutions pour accéder, à l’aide de cordes ou de nacelles, aux endroits inaccessibles par voies conventionnelles. Et la liste des possibles interventions est longue, voire illimitée. Qu’il s’agisse de lieux confinés, lors de rehaussement d’immeubles, où l’on doit par exemple tirer jusqu’en haut de nouvelles conduites de fluides (eau de chauffage, électricité) dans des espaces très restreints, ou qu’il s’agisse de travailler en hauteur, comme lors de réparations d’installations élec- triques placées à 45 mètres du sol dans des grands magasins, rien n’est impossible. Les cordistes n’ont pas de champ d’action spécifique.

Du monde aseptisé de la médecine à l’industrie lourde, jusqu’au coin de rue, leur terrain d’application est varié et sans fin, allant du simple système anti-pigeon, à l’entretien de stores, au traitement de façades ou aux réparations mécaniques complexes, en passant par des situations plus exceptionnelles telles que le remplacement de pièces au fond de barrages. «Nous visitons des coulisses et des points de vue extraordinaires (voir encadré) mais 40% de nos interventions consistent en nettoyage. Des contrats annuels de lavage de vitres comme celles du bâtiment du Millenium à Crissier occupent certains de nos collaborateurs pendant 6 à 7 semaines ou le Belvédère du quartier de l’Etang comblent notre planning durant 5 semaines d’affilée», décrit Charles-Henri Stÿger, directeur commercial d’Acro Bat.

Considéré comme la seule option dans de nombreux cas, le mandat de cordistes est également plus économique pour les entreprises. «Contrairement à la pose d’échafaudage ou autre, nous intervenons de manière très légère, discrète et rapide sur des façades, en souterrains ou en zones dangereuses, ce qui évite typiquement de bloquer une production trop longtemps», illustre le cordiste Jean- Daniel Légeret, fondateur d’Acro Bat il y a de cela 27 ans.

L’évolution au fil du temps

Plus indispensable qu’il n’y paraît, ce métier de voltigeur ne date pourtant pas d’hier. Il faut imaginer des réparateurs de clochers qui se hissaient autrefois à la force des bras avec pour unique protection une corde autour du ventre... Fort heureusement, aujourd’hui les prescriptions de sécurité ont largement évolué, tandis que le matériel est devenu sans cesse plus confortable et perfectionné. Or, à ses débuts, Jean-Daniel Légeret montait encore sur l’Auditorium Stravinsky de Montreux dans son propre baudrier d’escalade: «Le métier a changé depuis lors mais en 1997, j’avais une formation de maçon et j’étais passionné de grimpe, alors lorsque l’opportunité de ce chantier s’est présentée à moi, je n’ai pas hésité une seule seconde».

Aujourd’hui à la tête d’une petite société de 25 employés, le Romand voit désormais la concurrence s’intensifier peu à peu (et la demande croître en parallèle) sur un marché au positionnement marqué. «Entre les tours à l’architecture décalée et les normes Minergie qui favorisent les fenêtres qui ne s’ouvrent pas, les bâtiments sont de plus en plus complexes et difficiles d’entretien, ce qui profite à notre secteur», confirme le patron. L’image de la profession semble par ailleurs avoir redoré son blason au fil des années... Longtemps perçu comme «babacool», le cordiste est à présent reconnu en vrai professionnel comme tous ceux du bâtiment. Pour preuve, les femmes se font elles aussi petit à petit une place dans ce monde pour l’heure très masculin.

Un goût du risque assuré

Nettoyage des vitres du Centre oecuménique de Genèvediaporama
Nettoyage des vitres du Centre oecuménique de Genève

Il faut dire que le profil type du cordiste n’a quant à lui que très peu changé. Pour en être, mieux vaut s’estimer ultra manuel, sportif, ne pas avoir le vertige et surtout être polyvalent. Un dernier point qui s’avère primordial puisque ces per- sonnes suspendues dans le vide doivent avant tout effectuer un travail technique lors d’interventions. «Bien que nos missions soient toujours supervisées par nos entreprises-partenaires spécialisées, nous privilégions les cordistes ayant déjà exercé un métier manuel par le passé. Nous comptons ainsi dans nos rangs un peintre, un maçon, un électricien, un scaphandrier, un soudeur ou bien encore un ferblantier mais tous sont touche-à-tout», détaille Jean-Daniel Légeret.

La forme physique étant un autre critère d’importance pour la pratique d’un cordiste, la jeunesse est bien souvent un atout. Le directeur d’Acro Bat poursuit: «Le profil type a souvent moins de 40 ans mais dans notre entreprise nous faisons en sorte que l’âge ne soit pas synonyme de fin de carrière. Il est par exemple possible de passer dans la partie plus préparatoire de l’intervention.» En effet, un cordiste ne part jamais à l’assaut des immeubles à l’aveugle, sans que les risques, les procédures et le matériel n’aient été contrôlés au préalable par ses collègues.

«Les accidents restent extrêmement rares mais il est vrai que nous pratiquons un métier à risques. Certains contextes le sont plus que d’autres, comme lorsque nous avons dû monter en haut de la cheminée de Holcim, à Éclépens (VD), pour le remplacement de la couronne supérieure en béton. C’était impressionnant, à l’instar des parois de silos à grains Landi qu’il a fallu réparer», souligne le directeur commercial d’Acro Bat. Mais qui dit risque, dit sécurité. Alors les cordistes montent désormais en duo. Un devoir de surveillance qui assure que lorsqu’un malaise survient, le coéquipier puisse réagir en moins de 15 minutes (délai de survie d’un corps inerte dans un baudrier).

Des qualifications à renforcer

Et si la sécurité est devenue un enjeu incontournable dans le bâtiment, celle-ci implique par-dessus tout une formation de qualité. Ainsi, afin de s’adapter aux nouvelles réglementations et de se former correctement aux situations de secours, la formation IRATA, la plus recommandée de toutes, impose un rafraîchissement tous les trois ans pour offrir une mise à jour continue des «ficelles» du métier. Toutefois, un autre défi réside encore dans le fait de conserver cette main-d’œuvre qualifiée. «Par rapport aux métiers du bâtiment, les prix du marché sont parfois tirés vers le bas par des intérimaires français. Il serait intéressant de protéger le niveau des salaires avec une convention collective à l’avenir», relève le fondateur d’Acro Bat qui se veut néanmoins rassurant sur les débouchés qu’un futur cordiste peut espérer. Il ne reste plus qu’à faire le grand saut!

Le top des interventions

La plus grisante: Acro Bat a dû réparer le système au sommet de la tour RTS de Genève. Autrement dit, grimper sur un mât d'un diamètre de 7-8 centimètres à 80 mètres de haut.

La plus atypique: L’inspection de conduites souterraines, à genoux, à moitié immergé, à 5 mètres sous terre, nez à nez avec des crapauds.

La plus impressionnante: Le remplacement à 100 mètres de haut de la couronne supérieure en béton de la cheminée de Holcim, à Éclépens (VD).

La plus triste: Le nettoyage des vitres du CHUV (Centre hospitalier universitaire vaudois).