Genève

Le temple de la Fusterie s'offre un gros lifting

La Fondation pour la conservation des temples genevois, maître de l’ouvrage, œuvre à pérenniser ce monument classé. Cela passe par sa stabilisation à l’aide de 192 micropieux enfoncés à dix-huit mètres de profondeur. Récit.

Les bancs qui étaient présents sur la galerie seront en principe en partie remis
Les bancs qui étaient présents sur la galerie seront en principe en partie remis - Copyright (c) Archigraphie.ch - Philippe Cointault
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Le temple de la Fusterie revêt une importance symbolique majeure pour les Genevois. Ce fut le premier temple construit comme tel dans la cité. «Il a subi des interventions qui ont altéré ses dispositions intérieures, puis un changement d’affectation – d’église paroissiale de la basse ville à l’Espace Fuste- rie d’aujourd’hui – qui exige désormais des adaptations, enfin une dégradation due à la fois au changement des conditions physiques de ses fondations, aux effets de la rénovation lourde subie il y a cinquante ans environ et à l’usure du temps», peut-on lire dans la plaquette élaborée par la Fondation pour la conservation des temples genevois construits avant 1907.

Ce temple avait subi trois rénovations importantes depuis sa construction voici plus de trois siècles. Précisons que le projet est réalisé sous la direction du bureau Féroé architectes et des mandataires spécialisés, Ingeni, ingénieurs civils et Gadz, géotech- nique. Christian Foehr du bureau Féroé travaille sur ce projet depuis décembre 2011, avec l’aide des recherches historiques menées par Cecilia Maurice et Erica Deuber Ziegler. Quant à l’entreprise Grisoni, elle est chargée de mener à bien ces travaux très spéciaux et le gros œuvre pour le radier étanche qui prendra place sous l’édifice, jusqu’à plus de 4 mètres de profondeur.

Profonde altération

Un vrai sous-sol sera créé suite à l'excavation, offrant de nouveaux espaces pour un lieu polyvalentdiaporama
Un vrai sous-sol sera créé suite à l'excavation, offrant de nouveaux espaces pour un lieu polyvalent

Aujourd’hui, le temple nécessite une re- prise en sous-œuvre. Des tassements différentiels considérables ont été constatés, ceci parce que les fondations reposent sur du limon lacustre instable. L’écart d’altitude entre les deux extrémités de l’édifice est d’environ 28 cm! Le temple penche en direction du lac d’environ 1 mm par année. Il y avait urgence. Cependant, il s’est écoulé beaucoup de temps entre le début des études préliminaires en 2012 et le démarrage du chantier en 2022.

La crise sanitaire, la guerre en Ukraine, puis les recours des commerçants voisins qui ont tout bloqué pendant 8 mois. Entre temps, le coût du chantier a encore grimpé et est actuellement estimé à 17,2 millions de francs. Le financement est assuré à raison de 70% par des dons versés par une fondation privée, la Loterie romande, UBS et des particuliers et 17% par des subventions de l’État de Genève, de la Ville de Genève et de la Confédération. Bref, il reste à financer environ 13%.

Découvrons l’intérieur du temple. La chaire a été protégée par des coffrages en bois. Elle sera déplacée cet automne via des rails de 6 mètres de long au centre de l’Espace Fusterie, avant de reprendre sa place sous l’orgue à la fin du printemps 2024. «Il y aura un tunnel d’accès passant par-dessous», nous explique Mohamed Fitas, directeur du site genevois du groupe Grisoni.

Des tassements considérables ont été constatés car les fondations reposent sur du limon lacustre instable.

Puits de pompage

Des palplanches ont été installées en premier à partir de février 2023. «Le terrain est très limoneux-argileux. Il a fallu créer des puits de pompage pour se mettre au sec», commente le directeur. Sous l’ancienne dalle de béton, il y avait 40 cm de remblais et plus rien. N’oublions pas que les fondations avaient été construites en cinq semaines, entre octobre 1713 et fin novembre 1713. «Nous avons déconstruit les éléments existants datant des années 1970: une mezzanine et un petit local au sous-sol destiné à la chaufferie et aux sanitaires. Les cloisons côté Vieille-Ville étant en colombage, elles doivent rester. Nous devons donc creuser sous les cloisons existantes. Dès lors, elles sont soutenues par des poutres métalliques».

Sous les 16 colonnes du temple, les éléments porteurs seront prolongés avec des colonnes en béton armé et des micropieux. Ce ne sont pas moins de 192 micropieux d’une quinzaine de mètres qui seront enfoncés dans le sol afin de stabiliser le mieux possible cet édifice. Au final, nous avons un dispositif qui emballe le tout. «Ici, nous sommes dans un ancien port comblé. La solution mise au point avec ces micropieux fixés dans la couche limoneuse argileuse préconsolidée était le seul moyen de stopper les dégâts», explique Christian Foehr.

«Nous en sommes actuellement à la fin des travaux spéciaux menés par notre société ISR, tandis qu’une autre de nos sociétés, Fracheboud, s’est occupée d’une partie de la déconstruction et que Lanthmann Constructions Bois est intervenue pour le renforcement en bois sous l’orgue et les protections des portes, entre autres. Nous avons la chance de pouvoir tout faire à l’interne», ajoute pour sa part le directeur de Grisoni Genève.

Des prismes sur les murs

Un monte-charge permettra l'accès au sous-sol pour les personnes à mobilité réduitediaporama
Un monte-charge permettra l'accès au sous-sol pour les personnes à mobilité réduite

Environ 40 prismes ont été fixés sur les parois qui sont mesurés par une station théodolite qui tourne toute la journée, relève les valeurs et signale s’il y a eu un tassement ou un soulèvement à cause des micro-pieux. Grisoni a choisi d’offrir cette prestation. Une photo est prise tous les quarts d’heure pour en faire un film en accéléré. Deux containers ont été mis à disposition de l’association.

Après le déplacement de la chaire, Grisoni est en train de créer le radier central qui servira à stabiliser par butonnage le rideau palplanche extérieur. En tête des palplanches, il y aura un appui posé contre le radier central, ce qui permettra de creuser ensuite sous l’ouvrage existant. En effet, il a été décidé d’excaver complètement en agrandissant le sous-sol pour y aménager de nouveaux espaces. Cet agencement doit permettre de développer la polyvalence du lieu en créant une grande salle multi-usage, des loges, des vestiaires, des toilettes et des douches, ainsi que des espaces de stockage.

Côté Rhône, une rampe permettra l’accès aux personnes à mobilité réduite. Un ascenseur leur offrira la possibilité d’accéder à tous les locaux aux différents niveaux. Pour ce faire, Grisoni va évacuer environ 2000 m3. «Ce n’est pas simple d’ajouter un niveau en sous-sol sous un bâtiment qui a 300 ans», relève Mohamed Fitas. A ce propos, afin d’obtenir le feu vert de la Confédération, cinq spécialistes de l’Office fédéral de la culture se sont déplacés, avant de constater que c’était la seule solution possible.

Chantier de 3 ans

Ce chantier mené par l’architecte Christian Foehr vise à restaurer et à adapter cet édifice en reprenant complètement les installations techniques selon un concept énergétique adapté à l’exploitation future dubâtiment et soucieux de la préservation de l’environnement, par le biais de la mise en place de sondes géothermiques et d’une pompe à chaleur.

L’amélioration du coefficient thermique des différentes surfaces de l’enveloppe sera obtenue par la mise en œuvre d’une isolation en verre cellulaire recyclé sous le radier du nouveau sous-sol, la pose d’isolation en laine de lin dans les combles et l’installation de doubles-fenêtres intérieures. Enfin, ce projet de sous-sol, développé conjointement avec les ingénieurs propose un plancher dans la nef à 100% en épicéa et en chêne massif, en lieu et place de la dalle en béton existante. Le bois étant plus léger que le béton et aussi plus en adéquation avec cette architecture du XVIIIe siècle. Les éléments de partitions au sous-sol et le mur derrière la chaire devraient être en parpaings de terre compactée confectionnés en Suisse romande chez Terrabloc. De quoi permettre de mieux maîtriser l’humidité.