Jean Nouvel

Le retour gagnant

Avec le démarrage du projet O’Belmont, les Ateliers Jean Nouvel vont transformer un bâtiment Swisscom désaffecté en écrin urbain de qualité au cœur des Eaux-Vives. Rencontre avec le Prix Pritzker 2008.

Depuis le chemin du Clos-Belmont, une façade met la végétation en valeur
Depuis le chemin du Clos-Belmont, une façade met la végétation en valeur - Copyright (c) DR
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La rencontre se déroule en marge de la présentation « publique » du projet « O’Belmont by Jean Nouvel », le 28 novembre 2024 à Genève. Le célèbre et néanmoins controversé Jean Nouvel, qui fêtera ses 80 ans cet été, est de retour en Suisse. Un pays où son talent est reconnu. Son bâtiment de Lucerne, Le Centre de Culture et de Congrès livré en 1998, a été récompensé par le prix international d’architecture Francesco Borromini édition 2001. Pas question d’oublier le Cube de l’Expo.02 à Morat, le fameux Monolithe de près de 4000 tonnes. Ou encore le Siège international du groupe Richemont à Bellevue (GE), réalisé à la suite d’un concours d’architecture international et inauguré en juin 2006. Les bureaux sont séparés par des vitrages sérigraphiés qui reproduisent les arbres environnants. On y retrouve le thème d’une architecture assiégée par la nature chère à Jean Nouvel.

Difficile de ne pas mentionner son projet d’extension du Musée d’Art et d’Histoire de Genève. Un projet qui lui avait valu en 2016 d’être caricaturé en Nosferatu le vampire par les opposants lors d’une votation. C’est avec 54,3% de non que ce projet avait été refusé, ce qui avait poussé le mécène Jean-Claude Gandur à trouver une autre solution pour présenter sa collection d’art. Enfin, mentionnons encore la réalisation des cinq gares du Léman Express à Genève.

Ce n'est pas parce que nous sommes dans un site sensible, qu'il ne faut pas chercher à inventer.

Jean Nouveldiaporama
Jean Nouvel

Avec l’aboutissement du projet résidentiel O’Belmont, on assiste ainsi à un « retour gagnant » de cet architecte à la notoriété planétaire. En effet, outre l’Institut du monde arabe, le Musée du quai Branly ou encore la Fondation Cartier pour l’art contemporain à Paris, citons le Dentsu Building à Tokyo, l’usine Ferrari à Modène, le One Central Park à Sidney ou encore le Musée du Louvre à Abu Dhabi.

En quoi consiste le projet O’Belmont ? Développé depuis 2016 par Spice Group (famille Felisa) et récemment rejoint par Unica Capital (Byron Baciocchi, cofondateur du groupe Ultima) et le groupe Swissroc, ce projet propose de réinventer l’ancien site d’une centrale de télécommunication pour en faire un « espace de vie prestigieux et novateur ». Il s’agira d’un immeuble de 23 appartements, dont les finitions ont été choisies avec le plus grand raffinement. Côté route de Chêne, la structure s’élèvera dans une verticalité marquée, en hommage à l’héritage industriel du site. A l’arrière, communiquant avec le petit quartier préservé du Clos Belmont, la future construction proposera des courbes végétalisées, fusionnant minéral et végétal. Les futurs propriétaires bénéficieront d’un service exclusif, que ce soit dans l’espace wellness & spa ou dans le fitness privé de la résidence.

De 2 à 7 pièces pour des surfaces de vente allant de 71 à 511 m2, ces appartements offriront à leurs occupants confort et modernité. Ils seront livrés clé en main. Les travaux débutent maintenant par le désamiantage et la démolition des bâtiments existants. Notre interview.

Concernant O’Belmont, comment vous êtes-vous inspiré du lieu pour définir votre projet ?

Il faudrait être fou pour ne pas être contextuel ici. On se sert des atouts qui sont là. Être contextuel signifie justement qu’il faut utiliser les atouts du lieu pour concevoir une œuvre qui s’en nourrit. L’écrin végétal d’une de nos façades sera la réponse naturelle au petit parc de Clos Belmont qui jouxte le projet.

D’un côté se trouve une des gares que vous avez dessinées et de l’autre, avec le plan de site Clos-Belmont, il y a quelques villas protégées et beaucoup de verdure.

La vue du nouveau bâtiment côté gare des Eaux-Vives, avec quelques commerces au rez-de-chausséediaporama
La vue du nouveau bâtiment côté gare des Eaux-Vives, avec quelques commerces au rez-de-chaussée

Je pense qu’il ne faut jamais oublier quand on est et où l’on est. Quand, c'est maintenant. C’est ce qu’on peut faire aujourd’hui et que l’on ne pouvait pas faire hier. Ce n’est pas parce que nous sommes dans un site sensible, qu’il ne faut pas chercher à inventer. Par la diversification des programmes, certains très urbains et d’autres commerciaux, d’autres encore liés à la promenade dans ce quartier, mais aussi à la Comédie. Cela pourrait être aussi une incitation à ce que les bâtiments qui se construisent en ville soient des bâtiments qui essaient de faire plaisir à ceux qui sont là, que ce soit sur le plan programmatif, esthétique et artistique. Le seul problème maintenant avec l’architecture, qui était le premier des arts, c’est que pour un architecte souhaitant être créatif, ce n’est pas évident du tout. Aujourd’hui, nous sommes dans une situation où il faut vraiment défendre l’art de l’architecture. Et je pense que dans des projets comme cela, nous pouvons le faire.

Il faut vraiment défendre l'art de l'architecture.

Mais cela a pris du temps. Vous avez dû vous battre ?

Oui. Quand on commence à faire un bâtiment qui plaît à beaucoup de monde, nous avons davantage de chance de pouvoir recommencer. Si vous faites des choses banales qui n’intéressent pas les gens, cela ne marche pas toujours. Ensuite, il y a souvent une grande peur du ridicule quand on parle de création. Dès que quelque chose n’a pas été fait avant, est-ce que l’on peut le faire ? Qu’est-ce que cela veut dire ? Il faut vraiment qu’il y ait une bonne relation entre le maître d’ouvrage et l’architecte. Et qu’ensemble, ils se mettent d’accord sur le fait que ce que nous allons faire sera de l’architecture, et que ce ne sera pas juste une construction. Là, nous allons faire une architecture. C’est bien pour ceux qui sont autour. C’est bien pour la Ville et c’est bien pour ceux qui vont y vivre. Avec les futurs propriétaires, nous allons essayer de proposer des choses qui en feront un lieu caractéristique de Genève.

Quand vous décidez de signer un immeuble de logements, quelles sont vos priorités ? La taille des pièces, la luminosité ?

La façade prévue pour le square Agassediaporama
La façade prévue pour le square Agasse

Si l’on veut créer quelque chose, il faut tout cela à la fois : de la composition, de l’harmonie, du rythme, il faut que cela fasse plaisir à ceux qui sont en terrasse. Il faut de la lumière d’aujourd’hui et pas d’hier, en incluant celle d’hier de temps en temps. C’est à chaque fois une forme d’expérience. Si l’on veut inventer, cela signifie que l’on prend une position qui n’est pas connue, qui n’est pas aimée et souvent cela devient plus compliqué. Mais sur de tels lieux, il faut jouer la carte de l’invention. Ce métier ne doit pas renoncer à être tenu par des artistes, surtout par rapport à ce qui se passe maintenant. Surtout à l’heure où les bureaux d’études ont des plans prêts dans leurs tiroirs et peuvent tout construire dans des délais extrêmement réduits.

Vous arrive-t-il de refuser un mandat ?

Oui, bien sûr. Mais cela arrive moins aujourd’hui. Si l’on vient me chercher aujourd’hui, ce n’est pas pour les mêmes raisons. Je peux dire non pour des motifs éthiques. Il y a des situations où l’on n’a pas envie de participer. Mais dès que je sens l’amour du pays ou du lieu, ou de l’art et de l’humanisme, je dis toujours oui.

Je pense que c'est dans le domaine de la lumière que les choses bougeront le plus.

Quelle est votre façon de procéder ? Vous êtes à la tête d’un bureau d’environ 200 personnes.

Je fais souvent le parallèle entre l’architecture et le cinéma. Ce sont des métiers où l’on a des budgets importants, des complexités techniques et des attitudes qui peuvent être publics. L’architecture est un support permettant de créer des images et de la vie.

Et généralement vous vous déplacez sur les lieux de vos projets ?

L’entrée de la résidence O’Belmont est située au chemin du Clos Belmontdiaporama
L’entrée de la résidence O’Belmont est située au chemin du Clos Belmont

Je vais toujours sur place avec mon matériel pour dessiner et pour voir le lieu. Il faut d’abord se mettre en accord avec le lieu, le génie du lieu. L’invention artistique ne se délègue pas. Je considère que c’est un acte tout à fait personnel.

Comme vous êtes arrivé la veille, êtes-vous allé revoir certaines de vos réalisations ? Par exemple le siège social du groupe Richemont ?

Oui, j’avais très envie de le revoir car je n’y étais pas retourné depuis une dizaine d’années.

Une extension est prévue. Allez-vous vous en charger ?

Il y a des possibilités à terme, mais rien d’actuel. Le groupe Richemont est un fidèle client. Notamment via Cartier et sa Fondation d’art contemporain.

Y a-t-il des matériaux avec lesquels vous aimez particulièrement travailler ?

Je suis plutôt ouvert à tout, mais il y a des matériaux qui font beaucoup de sens par rapport à l’évolution technique, culturelle et esthétique. Maintenant je suis de près le travail sur les verres. Avec les progrès thermiques, de dimension, de coloration, je pense que c’est dans le domaine de la lumière que les choses bougeront le plus. Il faut absolument jouer sur les données écologiques actuelles et faire en sorte que l’architecture se réinvente par rapport à ce qu’on peut faire ici et pas par rapport à quelque chose qui serait fait ailleurs. Cela commence par le fait de travailler avec des personnes qui sont actives dans la région concernée et de se servir des matériaux qui sont là. Aujourd’hui, la plupart des grands projets urbains sont réalisés par les mêmes entreprises internationales qui arrivent avec des personnes venant d’un autre continent, ce qui engendre des frais de transport énormes. Il faut que l’argent reste sur place. Il faut vraiment que l’on puisse travailler ainsi. C’est une question d’éthique humaniste.