Le réemploi, la solution gagnante?
Nouveau tournant pour le secteur de la construction, la circularité des matériaux est au cœur des réflexions. Un sujet qui a été abordé lors du «Jeudi de l’environnement», début mai, à l’aide de deux exemples genevois: le Bouchet à Meyrin et les Grands Esserts à Veyrier.
Thématique connue de longue date mais oubliée avec la révolution industrielle et l’avènement du pétrole, le réemploi revient finalement aujourd’hui sur le devant de la scène. À Genève, l’Office cantonal de l’environnement (OCEN) s’est donc emparé de ce sujet d’actualité lors d’une nouvelle rencontre des «Jeudis de l’environnement» (ouverts à tous) début mai. L’occasion d’aborder les enjeux de ce changement de paradigme dans la construction qui s’amorce malgré les nombreux freins qui questionnent sur sa réelle plus-value. Car, il faut le rappeler, le potentiel de réemploi est énorme: la Suisse dispose d’un gisement important en la matière, avec 3000 à 4000 démolitions et 17 millions de tonnes de déchets de déconstruction par année. Pour l’exploiter, il faudrait cependant arriver à contourner quelques obstacles auxquels seule une poignée de chantiers se sont risqués pour le moment...
Décider de se lancer ou pas
Exemple avec «Le Bouchet» (route de Meyrin 49), un projet mené par la plus grande société immobilière suisse cotée en bourse, le groupe Swiss Prime Site (SPS). Propriétaire d’un immeuble administratif en très bon état mais vieillissant, SPS voyait la vacance de son bien augmenter depuis plusieurs années. De plus, construit dans les années 80 par l’architecte Bugna père, son bâtiment allait nécessiter un programme d’investissement très lourd d’environ 20 millions de francs.
Alors, dans un contexte de marché où les surfaces commerciales ne sont plus tellement recherchées, SPS hésite dès 2019 à transformer l’édifice en logements sur fond de circularité (140 logements) ou de le démolir/reconstruire pour y créer 200 logements à la place. Le réemploi l’emporte après moult études et une série de choix complexes effectués pour placer le curseur entre réemploi total et faisabilité économique.
De nombreux freins à lever
C’est accompagné du bureau genevois d’architectes FdMP que SPS a donc élaboré une stratégie de réemploi en quatre étapes. Tout d’abord en effectuant un inventaire, travail monumental à l’échelle de la fourmi, qui a été réalisé par le mandataire Matériuum sur ledit bâtiment afin d’étudier de quoi ce dernier était constitué.
En deuxième lieu vient la phase d’analyse. Phase où FdMP a dû repérer chaque élément inventorié et essayer de com- prendre ce que l’on pouvait démonter, déplacer et réemployer in situ, ou alors faire partir en déchetterie et en recyclerie. Dans cet immeuble de bureaux typique- ment, l’absence de baignoires a imposé la recherche sur d’autres chantiers afin d’éviter d’acheter à neuf tandis que les urinoirs présents sur place sont en attente de trou- ver preneurs.
Troisièmement, la synthèse. Les conclusions ont permis de définir par exemple que le béton en façade soit reposé ailleurs sur l’édifice, pour constituer les soubassements des murs mitoyens entre les appartements, permettant ainsi de diminuer le nombre de cloisons à construire et d’éviter d’envoyer du béton en déchetterie.
Enfin, en dernier lieu, FdMP a conclu ce processus avec une analyse multicritères basée sur différentes variantes du projet, qui ont été comparées, et parmi lesquelles il a fallu choisir celle où l’on réhabilitait en réemployant au maximum avec le meilleur équilibre effort financier/gain carbone. Pour ce projet, globalement, le surcoût financier a été estimé à +1,5%, l’économie de CO2 à -18% de tonnes et le rallongement de la durée de chantier repoussée d’une année par rapport à un chantier qui aurait été plus classique.
Et si aujourd’hui «Le Bouchet» a terminé sa phase d’avant-projet, il reste encore beaucoup à faire. Avec de nombreux défis à relever: celui du stockage des matériaux durant le chantier (surtout dans le canton de Genève où le m2 coûte cher), de la mise en réseau entre acteurs pour l’échange de matériaux, de la distance de ces échanges qui peut parfois faire perdre tous ses bénéfices si elle est trop lointaine, mais aussi celui de la durée de vie des matériaux qui n’encourage pas la démarche. «En tant que propriétaire d’un immeuble, lorsque nousavons une intervention aussi importante que celle-ci sur un bâtiment, nous n’avons pas envie de devoir changer toutes les robinetteries deux ou trois ans plus tard parce qu’elles ont été sourcées par du réemploi. Il faut penser à cela en amont et se demander si un robinet neuf (qui durera 20 ans) n’est parfois pas plus intéressant selon les situations», souligne Antoine Courvoisier, manager chez Swiss Prime Site.
Des essais et du temps pour avancer
Autre cas d’école, cette fois-ci avec la mise en œuvre du réemploi dans un projet d’aménagement d’espaces publics: celui des Grands Esserts à Veyrier, piloté par CI Conseils. Un quartier en construction (1200 logements, 20 ans de développement) de 12 hectares, dont 9000 m2 seront dévolus aux espaces publics dès 2025 et concernés par le réemploi. Pour ce faire, là encore, chaque élément du projet a été décortiqué et analysé pour travailler sur le réemploi des terres et un béton venu d’ailleurs grâce à des synergies entre chantiers.
Une nouvelle génération d’espaces publics plus vertueuse qui a, à nouveau, manqué d’exemples précédents, de cas à reproduire, et a demandé un grand effort de recherche. Les équipes ont dû avancer à tâtons, débroussaillant les prémices d’une pratique à généraliser, «mais qui prendra du temps, c’est certain», appuie l’architecte cantonal, Francesco Della Casa. En clair, la révolution du réemploi a du potentiel, mais reste pour l’heure encore ponctuelle...