Le passé «prolo» se fait aussi une place dans l'histoire
Certains grands ensembles d’habitation des «Trente glorieuses» sont désormais reconnus dignes d’intérêt d’un point de vue architectural et patrimonial.

Les châteaux, églises et autres maisons de maîtres composent l’essentiel des bâtiments classés par la division Monuments et sites du Canton de Vaud. Des constructions d’importance cantonale ou même nationale d’un point de vue architectural et patrimonial. Mais les années passent et, désormais, à ces monuments majestueux s’ajoutent les grands ensembles locatifs des années 1970.
C’est le cas du quartier de la Levratte, à Nyon, imaginé dans les années 1960 et réalisé entre 1971 et 1976 par les architectes Gérard Chatelain, Pierre Helbling, Philippe Moreno, Gérard Reymond et Sandro Scolari. Là, au milieu des champs, loin du centre historique de Nyon, ont donc poussé ces fameuses «barres de chocolat», surnom donné par la population à cet ensemble de 5 bâtiments comprenant 375 logements. Pourtant, au début, on ne s’y presse pas. La raison? La pénurie de logements est un peu moins aiguë que par le passé récent, les loyers ne sont pas aussi attractifs qu’escompté et, surtout, les bâtiments rebutent. Dans ce contexte, il arrive que les premiers résidents soient seuls dans leur tour pendant quelques mois avant de voir arriver un voisin de palier. Les promoteurs offrent même les trois premiers mois de loyer pour inciter les gens à emménager. Stratégie qui porte ses fruits. Aussi, l’aversion des débuts se transforme rapidement en plébiscite.
Les appartements sont agréables et les «décrochements» architecturaux évitent la monotonie, dit-on alors. On vante surtout l’existence de loggias. De même, les abords sont accueillants: sur les vastes pelouses les habitants se retrouvent pour pique-niquer et les enfants pour jouer à longueur de journée. La présence du petit supermarché donne à cet ensemble un point de gra- vité. Rapidement, donc, les coeurs sont conquis. Voilà cinquante ans que la Levratte est l’un des coeurs nyonnais de la vie associative et que les habitants s’y plaisent.
La Levratte est un élément qui raconte son époque avec qualité. C'est un style d'urbanisme qui a incontestablement gagné son pari.
Comment rénover?
Pour Alberto Corbella, conservateur cantonal, «la Levratte est un élément qui raconte son époque avec qualité. C’est un style d’urbanisme qui a incontestablement gagné son pari.» Mais si l’attribution de la note 2 au recensement des Monuments et sites du canton de Vaud salue la vision des architectes, il ne va pas sans poser de problème à l’heure de rénover un complexe qui, malgré sa qualité, possède les défauts de son époque. «Il faudra procéder avec la bonne méthodologie et investir davantage de temps au départ pour bien connaître les matériaux utilisés et faire la chronologie des rénovations exécutées pendant 50 ans», poursuit Alberto Corbella. Enjeu de cette rénovation, la déperdition énergétique, naturellement. «On ne pourra pas se contenter de rhabiller les bâtiments d’une couche extérieure de Sagex, il faudra trouver des réponses réalistes et proportionnées.»
Ce message, Realstone SA, direction de fonds immobilier basée à Lausanne, l’a bien compris au moment de racheter, l’an dernier, ce complexe. «Il est évident que ce classement, s’il est confirmé, imposera une certaine ligne de conduite lors de la rénovation. Nous pensons que les exigences architecturales peuvent être facilement respectées dans le cadre d’une isolation comme nous souhaitons la faire, sans toucher aux typologies des appartements ni à l’aspect général du bâtiment», explique l’entreprise.
Durabilité
Dans le détail, il s’agira de pratiquer une isolation des façades et de la toiture, éventuellement accompagnée d’un rafraichissement des parties communes. «La partie liée au chauffage est quant à elle déjà bien avancée car nous sortirons du mazout dans les prochains mois avec le déploiement d’une chaudière à pellets dans un premier temps, puis du chauffage à distance de la commune de Nyon. La pose de panneaux photovoltaïques en toiture est également envisagée afin de proposer aux locataires de l’électricité de source renouvelable, locale et décarbonée.» À Nyon comme ailleurs dans le Canton, l’histoire architecturale de la seconde moitié du XXe siècle, longtemps déconsidérée, est en train de glaner ses lettres de noblesse.