La Chaux-de-Fonds

Le Building peine à faire peau neuve

Bâtiment emblématique de l’expansion économique et urbaine de La Chaux-de-Fonds dans les années 50, le Building s’est couvert d’échafaudages sur son imposante façade sud. Construit il y a 70 ans, il a besoin d’une nouvelle jeunesse.

Cet immeuble construit en 1954 comprend 150 appartements
Cet immeuble construit en 1954 comprend 150 appartements - Copyright (c) Jean-Bernard Vuillème
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Les travaux actuels visent à sécuriser un bâtiment dont les murs affichent un défaut d’entretien manifeste. Ils portent surtout sur la remise à neuf des deux bandeaux longitudinaux du rez-de-chaussée et du 10e étage et sur l’isolation des sous-dalles. Le Building accuse son âge. Construit en 1954, c’était alors le plus grand immeuble locatif de Suisse d’un seul tenant. Il demeure en 2024 l’un des plus vastes de la ville. L’étroit et très long bâtiment qui déploie ses dix étages sur pilotis, rue du Bois-Noir 15 à 23, fait partie depuis 2018 du Fonds immobilier Procimmo Residential Lemanic Fund, riche d’une quarantaine d’immeubles résidentiels sis en majorité à Genève et sur l’Arc lémanique. Il est dirigé par Solutions & Funds, société basée à Morges, et gérée par Procimmo, une autre SA domiciliée à Lausanne. Cette dernière pilote un portefeuille de 4 milliards de francs réparti en cinq fonds. D’une valeur vénale estimée à près de 14 millions de francs, le Building est un lourd paquebot immobilier, délicat à manier, mais d’un rapport intéressant avec ses 150 appartements. Le plus grand propriétaire immobilier de la ville, Raffaelo Radicchi, l’avait acquis en 1999 pour 4,7 millions de francs et revendu en 2012 à Properties, une société genevoise. En 2023, le Building a généré des revenus bruts de quelque 931’000 francs.

«Descentes périlleuses» en 1954

Le bâtiment est dans l’attente d’une autorisation de construirediaporama
Le bâtiment est dans l’attente d’une autorisation de construire

Il y a septante ans, le 16 septembre 1954, pas moins de 300 personnes s’étaient réunies pour célébrer la levure de Building 54, sur le toit, au 10e étage de l’immeuble encore inachevé. Elles y avaient accédé à pied. «Il y eut quelques descentes périlleuses au milieu de la nuit», précisait L’Impartial. Encore fantomatique, le quartier des Forges sortait de terre. Le maire d’alors, Gaston Schelling, verre en main, révéla que la ville avait engagé 40 millions de francs pour stimuler la construction d’immeubles (2000 logements). Vingt millions avaient été dépensés pour la construction et vingt en subventions diverses. La ville compte aujourd’hui un peu plus de 37’200 âmes et amorce une légère croissance démographique après plusieurs années de décrue; elle avait atteint son pic de population de 43’036 âmes en 1967. La métropole horlogère cherche et trouve aujourd’hui un nouveau souffle entre développement sélectif, protection de son patrimoine urbanistique et mise en valeur de ses pôles culturels.

Immeuble emblématique par sa taille, mais aussi parce que ses architectes, Jacques Favarger (1889-1967) et son associé Bernard Murisier, faisaient un clin d’oeil à Le Corbusier. Le Building a quelque chose d’une unité d’habitation du genre «machine à habiter» et un rapport avantageux à la lumière. Quasi contemporain du célèbre architecte, Jacques Favarger, qui a fait l’essentiel de sa carrière dans le canton de Vaud, s’était lui aussi formé sur le terrain, sans passer par une école d’architecture. Ses affinités politiques, elles, semblaient peu compatibles avec Le Corbusier. Membre du POP, son intérêt pour le logement social était lié à son engagement politique.

Écoles pionnières

Les concepteurs de cet édifice, un vrai géant pour l’époque dans une ville de moins de 40’000 habitants, étaient mus par une certaine idée de l’habitat social. On en trouve en particulier l’expression dans deux vastes salles du rez-dechaussée, bien aménagées et éclairées. Initialement destinés aux adultes de l’immeuble d’une part, et aux enfants d’autre part, ces lieux collectifs ont vraiment trouvé leur vocation en 1958. A une époque où de telles infrastructures n’existaient pas, ils se sont métamorphosés en deux jardins d’enfants. Ouverts de 9h à 11h et de 14h à 16h, ils faisaient oeuvre de pionniers dans un quartier populaire où les femmes commençaient à travailler dans les usines, davantage par nécessité économique que par choix d’accomplissement personnel. Survivance de cette ambition initiale, l’une de ces salles est aujourd’hui louée à la fondation Carrefour qui y assure un service d’accueil et d’accompagnement éducatif 1 à 13, démoli et vidé de ses habitants en 2021 parce qu’il menaçait de s’effondrer, le Building tient debout. Il ne répond bien sûr pas aux normes de construction actuelles, mais un entretien minimal a été assuré au cours des décennies et le toit a été rénové. Mis en gérance chez l’agence Bernard Nicod depuis 2016, le Building offre des appartements agréables de 2 à 5 pièces, souvent avec vue panoramique sur la ville, pour des loyers raisonnables. Le Fonds immobilier propriétaire aimerait entreprendre des travaux d’isolation «dans le respect de l’esprit des lieux», précise un responsable de la société. Mais il ne sera pas simple de trouver un accord avec le service d’urbanisme de la Ville de La Chaux-de-Fonds.

Pas touche aux façades

La face sud du Buildingdiaporama
La face sud du Building

Le Building accuse son âge et son statut de «bâtiment remarquable» ne facilite pas forcément la vie des propriétaires. S’il n’est pas placé sous protection cantonale, la note 2, dans l’appréciation du patrimoine architectural, en fait un immeuble d’un intérêt régional évident. Et cela implique quelques contraintes comme l’interdiction de démolir. Il est aussi impossible d’emballer le Building dans une seconde peau, à l’image du bâtiment voisin de Bois-Noir 25 à 37, construit dans la foulée en 1956, aujourd’hui propriété de la Caisse de pensions de l’État. Les autorités communales sont très vigilantes depuis que la Ville est inscrite au Patrimoine mondial de l’Unesco.

Au Service d’urbanisme de La Chaux-de-Fonds, Yoan Vuillemez exclut de tels travaux pour le Building: «On perdrait tout sur ce bâtiment, une fois emballé il ne présenterait plus aucun intérêt patrimonial». Les qualités architecturales et patrimoniales du Building tiennent à ses matérialités et à ses proportions. Cela signifie que ses imposantes et typiques façades de briques de silico-calcaire apparentes, qui lui donnent un petit air de famille avec certains locatifs de pays de l’Europe de l’Est, doivent être maintenues. Mettre le Building aux normes actuelles en matière d’isolation n’aura rien d’une sinécure.

Pour l’heure, le Service d’urbanisme de La Chaux-de-Fonds n’a pas reçu de demande de permis portant sur des projets d’isolation. Il paraît donc probable que les travaux actuels sur la façade sud du Building, qui devraient s’achever en octobre, ne seront pas suivis de sitôt d’interventions plus importantes. D’ici que les intentions de la direction du fonds immobilier propriétaire de ce bâtiment emblématique obtiennent le feu vert de l’autorité compétente, un Grand-Pont flambant neuf aura été inauguré à La Chaux-de-Fonds (en septembre) et bien des trains auront passé dessous. pour les jeunes de 10 à 25 ans. Contrairement à l’immeuble voisin de Bois-Noir