Rénovation

La villa Hauteroche, une icône en béton armé

05.11.2024 à 07:33/ immobilier.ch Le Magazine

À l’extrémité orientale du lac de Joux, dans le village du Pont, il est possible d’admirer un lieu unique en son genre: le manoir Hauteroche. Conçu par le célèbre ingénieur François Hennebique et l’architecte Jean Campiotti en 1912, cet édifice est connu pour être un des premiers bâtiments d’habitation de Suisse construit en béton armé.

L’état de dégradation du manoir est aujourd’hui préoccupant et une restauration complète est nécessaire.
L’état de dégradation du manoir est aujourd’hui préoccupant et une restauration complète est nécessaire.
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C’est l’une des plus somptueuses villas que l’on peut trouver dans la vallée de Joux. Perchée sur les hauteurs et dominant le petit village du Pont, la villa Bunau-Varilla, appelée aussi Hauteroche, est un monument d’architecture et d’histoire. Construite entre 1912 et 1913 par l’architecte Jean Campiotti et François Hennebique, ingénieur français célèbre pour avoir breveté un système de construction en béton armé, cette villa de 5000 m3 (26 pièces) est aujourd’hui recensée monument d’importance nationale.

Les larges balcons sur porte-à-faux empruntés à l’univers des sanatoriums prolongent généreusement chaque étage sur l’extérieur.diaporama
Les larges balcons sur porte-à-faux empruntés à l’univers des sanatoriums prolongent généreusement chaque étage sur l’extérieur.

À l’origine de cette réalisation exceptionnelle se trouve Maurice Bunau-Varilla, homme d’affaires et patron de presse. L’histoire raconte que sa famille, originaire de Paris, découvrit le village du Pont lors d’un séjour en janvier 1911. Séduits par la beauté des lieux, ils y retournèrent en août de la même année, décidant finalement de s’y installer de manière permanente. Bunau-Varilla fit alors construire une somptueuse villa, qu’il surnomma «La Villa Le Matin», en hommage à son journal parisien Le Matin.

Personnage aussi influent que controversé - en politique, l’homme tendait à un progermanisme outré et pendant l’occupation, il soutint la politique de collaboration avec l’occupant - Maurice Bunau-Varilla a laissé une empreinte indélébile dans l’imaginaire collectif, notamment en inspirant des oeuvres sur les excès du pouvoir financier et médiatique. L’historien et romancier français Max Gallo, dans son roman La Baie des Anges, s’est inspiré de lui pour créer un personnage qu’il décrit comme un «homme louche, enrichi par Panama». En effet, avant de se consacrer à son rêve jurassien, Maurice Bunau-Varilla fut impliqué dans le scandale du canal de Panama, l’une des plus grandes affaires de corruption du XIXe siècle.

Cet édifice est connu pour être un des premiers bâtiments d’habitation de Suisse construit en béton armé.diaporama
Cet édifice est connu pour être un des premiers bâtiments d’habitation de Suisse construit en béton armé.

Des fresques murales saisissantes

La villa Hauteroche, érigée pour la somme colossale de 500 000 francs de l’époque, incarne l’ambition et le luxe dans ses moindres détails. Chaque chambre du premier étage dispose d’un salon privé et d’une salle de bains attenante, un confort rare à l’époque. Les pièces de réception du rez-de-chaussée sont quant à elles décorées de peintures murales impressionnistes représentant les quatre saisons et des scènes médiévales, réalisées par les peintres Jean Berne-Bellecour et Henri Deluermoz. Ce dernier est notamment connu pour avoir illustré l’édition originale du Livre de la Jungle en 1894.

L’architecture extérieure du manoir est tout aussi impressionnante, avec ses deux ailes perpendiculaires et son entrée principale située à l’angle du bâtiment. À l’exception des murs extérieurs, partiellement en maçonnerie de moellons, la structure repose sur un système poteaux-poutres-dalles entièrement en béton armé. Fait rare, François Hennebique s’est personnellement impliqué dans le projet, transformant la villa en manifeste des possibilités de la construction en béton armé. Cela se reflète dans l’ampleur des portées des balcons qui atteignent 3.5 mètres de largeur, des dalles de 10 centimètres d’épaisseur mais aussi dans la dimension et le rythme des ouvertures et dans la saillie des étages supérieurs sur les étages inférieurs. Les murs non-porteurs dissimulent des poteaux en béton armé de 10 x 20 pour rigidifier la structure. Pensé comme une villa à la montagne puisque le corps du bâtiment est en saillie par rapport aux murs du rez-de-chaussée, le manoir Hauteroche est à la fois novateur techniquement et très lié à son époque stylistiquement.

Perchée sur les hauteurs et dominant le petit village du Pont.diaporama
Perchée sur les hauteurs et dominant le petit village du Pont.

Habité par la famille Bunau-Varilla jusqu’en 1944, le manoir Hauteroche a ensuite connu plusieurs vies: centre de loisirs, camp de vacances, et refuge pour demandeurs d’asile. Toutefois, son abandon a entraîné des actes de vandalisme, et il est aujourd’hui dans un état préoccupant. Une restauration complète est nécessaire, un mandat ayant été confié au bureau d’architectes CCHE pour redonner à la villa son éclat d’origine. Le projet prévoit de conserver l’affectation de résidence secondaire et de compléter l’édifice en suivant les plans originaux.

«L'invention» du béton armé

François Hennebique, surnommé «l’entrepreneur entreprenant» par ses contemporains, révolutionna l’architecture en développant et brevetant plusieurs procédés de construction en béton armé. Grâce à son expertise technique, combinée à un sens aigu de la stratégie commerciale et à un talent reconnu pour l’organisation, Hennebique transforma son entreprise en une firme multinationale en l’espace de quelques années. En 1912, il revendiquait employer 30 000 ouvriers à travers le monde. Son influence dans l’architecture moderne est indéniable: en 1897, il réalisa à Paris son premier bâtiment à ossature en béton armé, recouvert de pierre de taille. Ce type de construction fut une avancée majeure dans la création d’immeubles plus solides, plus grands et plus résistants aux incendies. Hennebique a également conçu le premier pont en béton armé de France, le pont Camille-de-Hogues à Châtellerault.