Dossier spécial énergie

La Suisse, vivier de cleantech

Véritable vague qui submerge l’écosystème d’innovation du pays, les technologies dites «propres» ont su gagner leurs lettres de noblesses en tout juste quinze ans. Retour sur cette évolution qui n’en finit plus.

Les technologies dites "propres", une évolution qui n'en finit plus.
Les technologies dites "propres", une évolution qui n'en finit plus.
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Tornades dans le Jura, crues centenaires, laves torrentielles ou encore épisodes de sécheresses à travers le pays… Les récentes intempéries vécues par la population dessinent un horizon plutôt flou en Suisse. Si autrefois, les effets du changement climatique se ressentaient principalement au fin fond de nos vallées avec la fonte des glaciers, ceux-ci viennent désormais toquer aux portes de nos villes. Fort heureusement, des centaines de startups helvétiques s’activent tous les jours à trouver des solutions dans l’innovation. Appelées «cleantech», ces technologies dites propres contribuent ainsi à la transition vers une société plus durable. Cleantech Alps, leur plateforme de promotion, vient justement de publier son deuxième «Panorama des startups cleantech», le premier datant de 2017.

Vaud exemplaire en la matière

Et le constat est sans appel: la dynamique du secteur des cleantech est bel et bien lancée. Un rapide coup d’oeil quinze ans plus tard permet de mesurer tout le chemin parcouru depuis 2010. En effet, le nombre de créations de startups cleantech par année a quasiment doublé tous les cinq ans pour osciller actuellement à une cinquantaine de nouvelles sociétés par an. Dans le rapport précité de Cleantech Alps, 615 startups ont été recensées sur la période 2000-2023 et 90% sont toujours actives.

Des différences cantonales s’observent néanmoins dans ce développement, avec le canton de Vaud (172 cleantech au compteur) et de Zurich (160) qui font la course en tête, suivis de Bern (47), du Valais (40), de Genève (29), de Fribourg (26) et de Neuchâtel (17). Afin d’expliquer ce classement, la voie de facilité est de pointer la présence des deux écoles polytechniques fédérales (EPFL et EPFZ) mais l’analyse de l’origine des cleantech démontre une réalité plus complexe. En l’occurrence, un peu plus de la moitié des startups seraient issues d’initiatives privées selon l’étude. Les deux régions leaders proposent surtout une combinaison de facteurs et de conditions cadres développées sur la durée.

Dans le monde agricole, les solutions IoT prennent la forme de capteurs reliés à Internet pour collecter des mesures environnementales et mécaniques.diaporama
Dans le monde agricole, les solutions IoT prennent la forme de capteurs reliés à Internet pour collecter des mesures environnementales et mécaniques.

L’innovation émerge donc de n’importe quel maillon de la chaîne et non pas uniquement des instituts de recherche comme l’on aurait tendance à le penser. Le Valais représente d’ailleurs une parfaite illustration de ce constat, puisque hissé au 4e rang des cantons comptant le plus de cleantech, celui-ci ne dispose pourtant pas d’Université sur son territoire mais plutôt d’une stratégie de soutien à long terme de l’innovation qui suffit d’elle-même.

Plus globalement, c’est en fait tout un contexte qui a favorisé cet essor des cleantech en Suisse. Tout d’abord, grâce à des conditions cadres héritées de la révolution d’internet et de l’émergence des biotech qui ont marqué le début de l’ère des startups dès les années 2000. Ensuite, ce sont des événements clés qui ont servi de coups d’accélérateurs pour ce secteur. L’accident nucléaire de Fukushima en mars 2011, la COP21 de Paris et la signature dans la foulée de plusieurs accords sur le climat ou encore l’acceptation en Suisse de la loi sur la stratégie énergétique en 2017.

Puis a débuté une longue période d’incertitude avec la perturbation des chaînes d’approvisionnement dû au blocage du canal de Suez (incident du porte-conteneurs Evergreen), prolongée par la période de pandémie, de guerre en Ukraine et d’envolée des prix de l’énergie. Mais si la course des cleantech en a profité pour s’élancer, elle n’est pas pour autant gagnée d’avance. Deux défis majeurs se présentent à elles aujourd’hui.

À commencer par une remontée des taux d’intérêts ces deux dernières années qui a détourné une partie des investisseurs vers le marché financier traditionnel, moins risqué. Le climat d’investissement s’est donc révélé plus tendu et est devenu la principale préoccupation des startups cleantech (59% des sondés). Il est vrai que ces dernières ont besoin de davantage de moyens pour se lancer, en comparaison avec des startups de l’industrie numérique par exemple. Contrairement à une maquette réalisable rapidement sans trop de frais, construire un réacteur pour démontrer sa performance et sa fiabilité demande un investissement colossal.

Nombre de cleantech par canton.diaporama
Nombre de cleantech par canton.

Des challenges de taille

Une particularité du secteur cleantech que l’on appelle la «double vallée de la mort», faisant référence à l’effort nécessaire, parfois mortel, pour faire mûrir une technologie et réaliser sa mise à l’échelle ou sa production industrielle (déploiement de masse). La réalisation d’un pilote cleantech déployé sur le terrain coûterait ainsi 2 à 10 millions de francs et le passage à une production industrielle facilement dix fois ce montant. Cependant, malgré une tendance d’investissement «morose» en 2023 dans la branche, les startups cleantech suisses ont finalement levé en 2023 plus de 400 millions de francs, après le record du milliard atteint en 2022.

Des chiffres qui donnent le tournis et qui feraient presque oublier qu’en 2010 ces sommes montaient difficilement aux 2 millions de francs sur l’année et pour l’ensemble des cleantech. Des investissements, désormais plus soutenus, qui seront nécessaires pour dépasser le deuxième enjeu majeur qui se présente aux cleantech à l’heure actuelle: l’internationalisation. Passer une épaule sur les marchés internationaux s’avère primordial à l’avenir pour l’expertise helvétique afin d’assurer une croissance à long terme. Pour cela, «il faudra passer à la vitesse supérieure et mieux se coordonner» assurent les auteurs du Panorama des startups cleantech. Face à la
concurrence de l’étranger, un réel changement de paradigme sera donc attendu afin de participer à la transition du monde carboné vers celui qui sera résolument décarboné.

Quelques acteurs de cette transition

Six cleantech romandes qui ont su se démarquer sur le marché ces dernières années:

  • Cortexia (FR)
    Pour une propreté urbaine intelligente
    Saviez-vous que les villes européennes emploient en moyenne 35 véhicules diesel pour 100’000 habitants, dont 16 rien que pour le balayage et le lavage (ce qui représente un total de plus de 2 millions de tonnes de CO2 émises par les voiries chaque année)? Grâce à son outil de cartographie des déchets urbains, via des caméras embarquées dans des véhicules et basée sur l’intelligence artificielle, l’entreprise Cortexia offre aux villes une meilleure allocation des ressources et un impact environnemental moindre.
  • Deasyl (GE)
    Décarboner les processus de la chimie
    Avec comme mission de remplacer la chimie pétrosourcée par une chimie biosourcée, Deasyl, innove et diminue les émissions polluantes, baisse la consommation d’énergie, d’eau et de matières premières pour proposer des processus plus respectueux de l’environnement et moins coûteux. Deasyl a d’abord travaillé sur un procédé de fabrication de biodiesel (un carburant de synthèse dont l’empreinte carbone est 93% inférieure à celle des carburants fossiles). Elle détient également des brevets pour la valorisation d’autres produits, solvants et lubrifiants biosourcés.
  • Panatere (JU)
    Le soleil pour faire des éco-matériaux
    La Suisse importe chaque année près de 150'000 tonnes d’acier inoxydable. Spécialisée dans l’usinage de pièces pour la microtechnique, Panatere a initié la mise en place d’une filière de revalorisation décarbonée de ses déchets et mutualise les chutes de production de plus de 50 entreprises de la Watch Valley jurassienne, dans une perspective d’économie circulaire, puisqu’ils sont fondus dans deux fours solaires, et vise la production de 100 tonnes d’acier inoxydable chaque année.
  • Qaptis (VS)
    Capter le CO2 avec des camions
    Le transport mondial de marchandises est responsable de 10% des émissions de CO2. L’entreprise Qaptis développe un système mobile de captage à la source, permettant d’éliminer jusqu’à 90% des émissions de CO2 des véhicules lourds, de le stocker à l’état liquide à bord puis de le décharger. Ce CO2 aura ensuite vocation à être recyclé dans les filières de stockage et de traitement du carbone.
  • TreaTech (VD)
    Valoriser les eaux usées
    Si l’incinération est considérée comme le moyen le plus efficace pour éliminer les virus, bactéries et micropolluants des flux de déchets, elle s'avère peu satisfaisante du point de vue environnemental. Les déchets doivent être transportés et les installations de traitement ne valorisent ni la chaleur ni la vapeur produites. La solution brevetée par TreaTech permet, quant à elle, de convertir en ressources les déchets habituellement incinérés pour les utiliser sur place ou les remettre dans le circuit.
  • Solaxess (NE)
    Mieux intégrer les panneaux solaires
    Un milliard de mètres carrés de panneaux photovoltaïques sont installés chaque année dans le monde. Toutefois, ces dispositifs pêchent souvent par leur inesthétisme. C’est pour faciliter leur intégration que l’entreprise Solaxess a développé une solution permettant de considérer les panneaux solaires comme de véritables produits de construction. Celle-ci permet de colorer n’importe quel panneau photovoltaïque de façon uniforme. En 2023, à Lancy (GE), les 4 faces d’une tour d’habitation de 55 mètres de haut ont ainsi été équipées de solaire décliné en trois couleurs.