La plus ancienne maison de Vevey
Véritable mémoire de la ville, la «Belle-Maison» a changé de propriétaire comme de fonction siècles après siècles, de 1540 à nos jours, et en conserve encore et toujours les traces. Portrait de cette bâtisse d’époque(s) devenue Musée historique de Vevey.
Avant tout connue pour sa Place du Marché, Vevey possède un autre joyau d’époque: la «Belle-Maison». Cette demeure imposante, qui trône aujourd’hui encore aux abords du lac, se veut la garante d’un passé veveysan remontant jusqu’à l’occupation du Pays de Vaud par les Bernois. Aux environs de 1540 pour être précis.
Une époque où la famille de Tavel (bourgeoise de Vevey), qui possède alors de nombreux terrains et bâtiments de la ville, décide d’y construire cette importante résidence. L’estimation temporelle, permise grâce à l’analyse des poutres de la charpente, saute d’ailleurs aux yeux dans l’architecture du bien aux influences résolument bernoises. La plus notable étant le vaste toit pentu de 12 mètres de haut qui égale la moitié de la hauteur totale de l’édifice.
Une construction en deux temps
Bien que l’allure générale de la propriété ait quelque peu changée depuis le XVIe siècle, celle-ci se rapproche, malgré tout, de celle du siècle suivant. La maison ayant été, selon une étude archéologique, d’abord construite tel un corps de logis primitif, de plan presque carré, délimité à l’est par une modeste cour ainsi qu’un bâtiment, et à l’ouest par un contrefort angulaire qui est toujours observable de nos jours sur la façade sud (portant la date sculptée de 1599). Un ensemble agrandi ensuite vers l’ouest en 1681 par la famille Tavel qui, portée par une envie de prestige et de grandeur, bâtira une annexe aux logis initial, avec une façade en pignon donnant sur l’actuelle rue du Château. Les embellissements se poursuivront durant le premier tiers du XVIIIe siècle, transformant cette sévère bâtisse en résidence élégante qui prendra dès lors le nom révélateur de «Belle-Maison». Sous l’influence d’un classicisme architectural certain, de larges fenêtres dotées de rambardes en ferronneries seront installées et la façade nord se verra couronnée d’un fronton sculpté. A l’intérieur, un bel escalier de marbre blanc (toujours utilisé) sera édifié et les pièces seront ornées de parois en lambris de noyer ou de sapin, de menuiseries dorées et de miroirs.
Changement de cap en 1733 lorsqu’Etienne Sigismond de Tavel vend la maison aux autorités bernoises pour y installer leur représentant régional, à savoir leur bailli. Résidant depuis la conquête bernoise au Château de Chillon, le bailli de l’époque se réjouit de quitter «l’inconfort» du château médiéval pour le luxe de la «Belle-Maison» située au coeur de Vevey, petite ville en pleine expansion économique. Fait d’un heureux hasard ou arrangement politique secret, le colonel Etienne Sigismond de Tavel est finalement désigné bailli l’année suivant la vente, en 1734, et retourne vivre pour six ans (le temps d’un mandat) dans son ancienne demeure familiale.
Quelques années plus tard, divers travaux, notamment un nouvel agencement des combles, élèvent cette dernière au statut de «château». Douze baillis occuperont ainsi les lieux au fil des décennies avec Beat Emmanuel Rudolph Tscharner pour fermer la marche, chassé du pouvoir par la Révolution vaudoise de janvier 1798. Une révolte qui mettra un terme à 250 ans de domination bernoise en Pays de Vaud mais qui se passera toutefois en douceur pour le bailli de «Belle-Maison». Le déménagement, effectué dans le calme, laissera le château vide… mais intact.
Période mouvementée de révolution oblige, la bâtisse est ensuite confisquée par les nouveaux dirigeants de la République helvétique et devient bien national. Une transition brève néanmoins puisque la Suisse fédérative et le canton de Vaud souverain voient le jour, se délestant au passage d’une partie de la fortune «nationalisée» de l’ancien état de Berne. Le château de Vevey et quelques autres en feront parties, pas celui de Morges ou de Chillon. Si bien qu’en septembre 1802 déjà, la «Belle-Maison» est revendue à un particulier, un homme fortuné de Vevey, Armand Philippe de Joffrey, qui achète le tout avec grange, basse-cour, poulailler, serre, chambre à lessive et jardin. Un propriétaire en remplaçant un autre… la maison change de mains en 1833, devenant la propriété d’un négociant en vins originaire de La Tour-de-Peilz, Jean Henri Michaud, qui occupera la totalité du rez-de-chaussée avec le stockage de son vin. Malheureusement, vingt ans plus tard, le commerçant connaît des revers de fortune et se met à louer le château à un gérant d’hôtel, se réservant tout de même l’usage des caves et du pressoir. L’ouverture de la «Pension de l’ancien Château» est officielle en 1856 après quelques menues réfections intérieures et extérieures.
Une nouvelle activité pour la demeure qui restera à la mort de Jean Henri Michaud, en 1864, lorsque son fils vendra la maison à un hôtelier originaire d’Argovie au prix de 180’000 francs. L’établissement prendra le nom d’«Hôtel du Château» et changera de tenancier encore à trois reprises, en 1889, 1899 et enfin en 1905. Le dernier en date, Henri Schaffner, entamera d’importantes transformations telles que la construction d’une véranda, la restauration des façades ou encore le réaménagement complet du rez-de-chaussée avec des salles divisées en taverne/tea-room/billard. Touche de modernité supplémentaire: un chauffage central est installé, tout comme la lumière électrique à tous les étages et des salles de bains attenantes aux chambres.
Patrimoine sauvé de justesse
À l’image des autres hôtels de la région Vevey-Montreux, la Première Guerre mondiale met cependant fin à cette époque florissante. Aussitôt, Henri Schaffner vend la maison en 1939 à la Société Suisse d’Assurance Générale (entreprise zurichoise) qui maintient l’établissement ouvert jusqu’en 1945. La seconde période de guerre aura malgré tout raison de l’hôtel qui ferme ses portes et échappe de peu à la démolition.
Sauvé par le gong, ou plutôt par une banque locale, le château est finalement racheté par la Caisse d’Épargne du District de Vevey qui se lance alors dans des travaux pour remettre à flot ce bâtiment historique. Le restaurant est maintenu au rez-de-chaussée mais les étages de l’ancienne pension sont remaniés. Vidés, ils sont réaménagés au 1er étage pour accueillir la Confrérie des Vignerons qui y siègera et créera un musée en 1953. Rejointe au 2e étage par le Musée historique de Vevey qui occupera six nouvelles pièces avec ses collections. «Grâce à cette vocation patrimoniale, le château a pu être sauvegardé et racheté en 1989 par la Confrérie des Vignerons qui a engagé de lourds travaux de restauration, en particulier sur les façades, le toit et le pavage de la cour» précise Fanny Abbott, directrice du Musée historique de Vevey. Une opération spectaculaire menée en 1993, permettant aujourd’hui à l’institution communale de recevoir plus de 4000 visiteurs par année et au chef de la cuisine moléculaire, Denis Martin, de perpétuer la tradition chaque jour depuis ce lieu d’exception.