La famille Julen remplit tout un livre
L’ouvrage de Peter Rothenbühler raconte par le menu l’histoire d’une des familles les plus prolifiques du pied du Cervin: celle des Julen qui compte des guides de montagne, hôteliers, restaurateurs et promoteurs.

Au jeu des familles, dans la tribu Julen, demandez Vrony, alias Veronika Adelheid! Toujours aimable et souriante, avec un mot gentil pour chacun de ses hôtes, Vrony Cotting-Julen tient la restaurant de montagne qui porte son nom. La table est incontournable, située à Findeln, un hameau à 2100 m, sur la piste que les skieurs dévalent depuis le Rothorn ou le métro de Sunegga. Ouverte autrefois par ses parents, le guide August Julen (décédé en 2015 à 93 ans) et sa mère Martina Perren, l’Alpenheim est devenu Chez Vrony. Cela fait belle lurette que l’on n’y mange plus les banales rösti-saucisses ou les croûtes au fromage.
L’artiste de la famille

Vrony et son mari Max Cotting – un financier zurichois qui dirige le service durant le week-end – ont compris que les amateurs de bons plats en semaine n’ont pas envie de se contenter de peu quand ils sont en vacances ou le weekend. Bien manger et bien boire font partie du programme, été comme hiver. La qualité se paie, mais les marges ne sont guère plus grandes avec une carte plus sophistiquée. Frère de Vrony et ses sœurs Moni et Leni, Heinz Julen est l’artiste de la famille. A la fois architecte, hôtelier-restaurateur, galeriste et peintre-sculpteur, il a plus d’une corde à son arc. A 57 ans, il a ses entrées à Zurich où sa renommée a gagné la cité. L’artiste, qui s’est fait connaître à ses débuts en empilant des lavabos en guise d’œuvre d’art (!), puis en construisant l’hôtel Into (devenu l’Omnia) avec son associé bernois de l’époque, n’est pas étranger à l’évolution moderne de la station: «Il y a vingt ans, les Zermattois me considéraient un peu comme un illuminé, mais aujourd’hui ils se frottent les mains», se confie-t-il dans la presse. Heinz Julen a fait évoluer la station à une ère résolument moderne, notamment avec son Vernissage Lounge Bar et son Backstage Hotel, où les lits sont perchés au-dessus de la salle de bain avec une échelle pour y parvenir! Jamais à court d’une idée audacieuse ou originale, il avait conçu à l’hôtel Into un jacuzzi sortant du toit et s’élevant dans le ciel zermattois pour permettre à ses occupants de prendre leur bain de bulles face au Cervin. Un luxe que les touristes américains ont adoré jusqu’à la transformation du bâtiment en une version plus classique.

Heinz Julen et son Backstage, c’est aussi le restaurant étoilé After Seven mené par le chef Ivo Adam: on y mange un menu surprise, petit ou grand, facturé en fonction de la durée du repas! Figure emblématique du ski helvétique, le médaillé olympique Pirmin Zurbriggen est aussi un habitué de la terrasse de Chez Vrony. Il a épousé Moni, l’une des sœurs de Vrony, avec laquelle il exploite dans la station de Zermatt, un appart-hôtel romantique, décoré là aussi par son beau-frère Heinz. Une affaire de famille! A 58 ans, Mario Julen est le seul résident permanent de Findeln, ce hameau qui compte cinq restaurants, dont quatre classés au top, y compris celui de sa cousine Vrony! Avec ses mazots séculaires, c’est là, à 2100 m, que le guide vit à l’année, quand il ne court pas les sommets, pilote son hélicoptère basé à Sion ou mène à bien ses différents projets: «Mon grand-père Séverin Julen vivait ici avec ses 12 enfants. L’aînée est morte d’une appendicite à 13 ans. Deux fils qui étaient guides sont morts tragiquement, l’un lors de l’ascension du Täschhorn, l’autre lors d’une avalanche en face du chalet familial. Quand j’ai dit à mon père que je voulais être guide, la réaction a été plutôt fraîche», se rappelle le montagnard assis devant la baie au verre miroir qui lui permet d’observer la faune locale sans être vu.
J’ai suivi les conseils de mon grand-père: il nous disait de conserver un mouton et un bout de terrain. C’est ce qui a nourri nos familles pendant des siècles!
Super Mario et le Ritz-Carlton

Comme guide et professeur de ski, il a accompagné des célébrités comme l’acteur Michael Douglas, Ted Kennedy ou les Rockfeller, rappelle le livre dont Mario Julen est le héros*. Cuisinier de formation après l’Ecole hôtelière à Genève, son entregent l’a fait progresser loin des fourneaux. D’abord comme pilote d’hélicoptère, puis comme pilote d’avion après avoir suivi une école de pilotage à Sacramento. En 2008, en compagnie du banquier Richard de Tscharner, il a piloté son Pilatus PC 12 pour un tour du monde de cent huit jours. Déjà propriétaire du Grampi’s et de l’hôtel Zermama que dirige sa fille Sandrine, il est aussi le promoteur du luxueux 7 Haeven’s avec son ami Patrick Drahi, le milliardaire franco-israélien qui réside lui aussi à Zermatt. Mario Julen qui a escaladé 80 fois le Cervin mène aussi à bien le premier établissement d’une grande chaîne hôtelière à Zermatt. Il a signé un accord avec Marriott pour construire un Ritz-Carlton de 69 chambres qui doit ouvrir ses portes en 2026: «Les douze dernières années, j’ai réinvesti tous mes gains dans l’achat des terrains, soit 14'000 m2. Les parcelles très morcelées appartenaient à des Zermattois. Il a fallu rechercher les héritiers. J’ai suivi les conseils de mon grand-père: il nous disait de conserver un mouton et un bout de terrain pour faire pousser le seigle. C’est ce qui a nourri nos familles pendant des siècles!»
Max, le champion olympique

Last but not least, le livre retrace aussi le parcours du skieur Max Julen (61 ans), médaille d’or aux JO de Sarajevo en 1984, qui tient aujourd’hui un restaurant à l’Hôtel Beau-Rivage et qui est père de trois enfants. Sans oublier Franz, qui fut le service-man de son frère Max, puis manager d’athlètes pour le compte de Marc Biver et qui est aujourd’hui CEO de la marque de ski Völkl, CEO d’Intersport International, président de Valora et ses 15'000 employés dans le commerce de détail. Président des remontées mécaniques de Zermatt, il habite Hünenberg See, dans le canton de Zoug, où l’herbe est plus verte pour les chefs d’entreprises, mais la neige moins blanche: «J’y habite depuis dix-huit ans, mais je suis fier d’être Zermattois», proclame le plus haut placé de la grande famille Julen.
* «Familie Julen und Zermatt»
par Peter Rothenbühler, ancien rédacteur
en chef du «Matin»,
Ed. Schweizer Illustrierte