L'Hôtel du Parc: proche du dénouement
Construit en 1906, le Palace Pèlerin Hôtel, devenu entre temps l'Hôtel du Parc avait été transformé en une résidence PPE avec des services hôteliers. Mais avant l'achèvement du chantier, la société est tombée en faillite. L'Office des faillites de l'arrondissement de l'Est vaudois vient de vendre les lots en question pour 92,8 millions. Retour sur une saga contrariée.
Voici une dizaine d’années, le Swiss Development Group (SDG) est créé par la famille Khrapunov. Une famille dont le père, Viktor, avait été maire d’Almaty et la mère Leila avait ouvert une boutique de luxe dans la capitale du Kazakhstan, avant qu’ils ne décident de rejoindre leur fils aîné, Iliyas, en Suisse pour se mettre à l’abri des foudres du clan présidentiel. Le SDG a beaucoup d’ambition. Via un fonds d’investissement, il affirme alors avoir levé 250 millions de francs pour réaliser plusieurs opérations immobilières haut de gamme. Le premier projet à avoir abouti, «Le Parc Kempinski Private Residences» se situe au Mont-Pèlerin à Chardonne, au-dessus des vignobles du Lavaux. SDG «affiche désormais son ambition de s’imposer comme le leader européen dans le développement immobilier de luxe avec de nombreux projets d’hôtels et de résidences 5 et 6 étoiles à la mer, à la montagne et dans les grandes capitales d’Europe de l’Ouest».
Dita Von Teese à Loèche
Il y a notamment le projet «51° Spas Residences» à Loèche-les-Bains dont le lancement fera l’objet d’un événement sur place en juillet 2011, animé par la célèbre reine du strip-tease burlesque Dita Von Teese, en présence de nombreux décideurs et journalistes de toute la planète. Une opération représentant un investissement global de 250 millions de francs. Les dix appartements du premier bâtiment devaient disposer chacun de leur propre spa et d’une salle de bain avec jacuzzi ouverte sur l’extérieur. Pour l’exploitation du futur hôtel cinq étoiles, le nom de Ritz-Carlton avait circulé. SDG était alors dirigé par Nicolas Garnier, précédemment chez Intrawest Europe pour lequel il a créé la station Arc 1950 en Savoie.
Parmi les projets présentés: «Ma Plage à Genève-Plage» (150 millions), «N°10» (soit la transformation d’un hôtel particulier situé 10, rue Toepffer à Genève, déjà acquis), «Pinacle Chalets Luxe» à Saas Fee (construction de trois chalets dessinés par Norman Foster), mais aussi des projets au Mont-d’Arbois ou encore en Grèce, sans oublier bien entendu le projet Du Parc au Mont Pèlerin, dont on affirmait alors que la moitié des 24 luxueux appartements avait déjà trouvé preneur. «L’investissement de 145 millions de francs engagé dans ce complexe résidentiel devrait rapporter 225 millions de francs», m’avait-on déclaré en 2011.
Ambitions bloquées par Nazarbaïev
Les grandes ambitions de la famille Khrapunov feront les frais des procédures judiciaires intentées en Suisse contre celle-ci par le Kazakhstan, à la demande du président Noursoultan Nazarbaïev, lequel finira par devoir quitter le pouvoir en 2019. Ces procédures vont provoquer le gel des avoirs des Khrapunov pendant des années. Le Ministère public de Genève va enquêter durant 7 ans pour finalement classer le dossier en novembre 2019. Mais, logiquement, l’aventure SDG ne pouvait tenir le coup, malgré la tentative d’appui apportée en son temps par Philippe Glatz, alors propriétaire de la Clinique des Grangettes à Genève. Mis sous pression et craignant de voir la famille être extradée, Iliyas avait alors obtenu la nationalité de Saint-Vincent-et-les-Grenadines.
La principale banque créancière, la banque Sarasin, devenue entretemps Safra Sarasin, est passée à l’offensive afin de récupérer une partie de ses créances. Elle a ainsi réussi à récupérer ses billes suite à la vente forcée de l’hôtel particulier genevois de la rue Toepffer en juin 2018, pour 15,5 millions de francs. Au printemps 2022, elle a cédé pour 16 millions de francs le bâtiment en question à la Fondation philanthropique du célèbre écrivain brésilien Paulo Coelho et de sa compagne la peintre Christina Oitica.
Cinq appartements vendus
Avant que la Société Hôtel du Parc Mont-Pèlerin SA ne soit mise en faillite fin novembre 2016, cinq appartements avaient effectivement trouvé preneurs. Certains propriétaires en question s’étaient d’ailleurs déplacés le 25 novembre dernier à Renens. Ces familles se sont retrouvées dans un bâtiment partiellement achevé, même s'ils pouvaient accéder à la piscine intérieure, au home cinéma ou au carnotzet. En effet, les parties communes sont elles-mêmes des lots au lieu d’être des dépendances des appartements. En juin 2015, alors que la situation était déjà très tendue, l’état des poursuites s’élevait déjà à près de 91 millions de francs. La principale, de 81,9 millions de francs, provenait de la Banque J. Safra Sarasin, mais il y avait aussi un ressortissant polonais qui réclamait plus de 6,7 millions. On trouvait également le nom de l’ancien basketteur français Tony Parker, domicilié alors au Texas, pour une poursuite de 270'000 francs. Ce dernier avait obtenu un rabais pour l’achat d’un appartement au Mont-Pélerin en échange de l’utilisation de son nom. Mais, ayant divorcé d’Eva Longoria en 2010, il n’a jamais finalisé le rachat. Autre anecdote intéressante: Bernard Nicod avait travaillé quatre mois pour obtenir finalement le contrat d’entreprise générale en mai 2010 pour la transformation de l’hôtel en appartements haut de gamme. Son offre s’élevait à 92,58 millions de francs TTC. Or, 48 heures avant la signature du contrat, Nicolas Garnier a ajouté une clause dans le contrat qui stipulait que l’EG s’engageait à payer toutes les dépenses jusqu’à l’obtention d’un crédit de construction... Le directeur prétendait alors que la Banque Cantonale Vaudoise allait leur octroyer un crédit de 100 millions de francs. Autant dire que Bernard Nicod a alors refusé cette clause et dès lors, Swiss Development Group n’a pas pris d’entreprise générale, tentant de gérer lui-même les travaux effectués à Chardonne.
Une créance de 134 millions
Au jour de la vente aux enchères, à Renens, les créances admises s’élevaient en tout à 134,354 millions de francs. Il faut dire qu’entretemps, la créance de la banque J. Safra Sarasin avait grimpé, du fait des intérêts, à près de 111 millions de francs. Au départ, soit en juin 2014, le prêt était de 77,792 millions de francs. Il était garanti par trois cédules hypothécaires totalisant 98,4 millions de francs. Mais en novembre 2018, la société avait réussi à obtenir un prêt supplémentaire de la Libyan Foreign Bank de 16,444 millions de francs, garanti par une cédule en 4ème rang de 17 millions de francs. Avec les intérêts, cette créance a grimpé à près de 23,45 millions de francs. En avril et mai 2019, une experte mandatée par l’Office des faillites de l’arrondissement de l’Est Vaudois a visité les lieux à Chardonne en présence de Jean Lecler, alors manager de la résidence. Ce dernier a depuis lors mis sur pied un projet de tokénisation visant à racheter l’ancien palace (lire le paragraphe à la fin). Ainsi, l’expert avait estimé à 93,775 millions de francs les lots non vendus et propriété de la société en faillite.
Au final, trois ans plus tard, une cinquantaine de personnes se sont retrouvées dans la salle d’audience de l’Ordre judiciaire vaudois, à Renens, le 25 novembre. Dans un premier temps, chaque lot a été proposé individuellement, puis, en fin de journée, l’Office a proposé une vente en bloc, étant entendu que ce serait l’offre la plus élevée qui l’emporterait. Lors de la première partie, la quasi-totalité des lots ont été emportés par la Banque J. Safra Sarasin, à l’exception du lot 15 (un bout de terrain où se situe une source). Quelques privés ont bien tenté de faire des offres, mais pas assez élevées pour que le créancier principal renonce à surenchérir. Par ailleurs, il fallait aussi un enchérisseur pour les lots autres que les appartements, soit le spa, le carnotzet, le fumoir, un bureau, un centre d’affaires, etc. De ce fait, au final, les représentants de la banque ont emporté l’ensemble à 17h05 pour la somme de 92,8 millions de francs. La mise en vente des différents lots, une fois le problème des parties communes réglé, pourra dès lors prochainement démarrer.
Une histoire mouvementée
Le Pèlerin Palace a ouvert ses portes le 3 juin 1907. C’est à l’initiative d’un entrepreneur genevois, Henri Fatio, que ce palace a vu le jour. Il a pu profiter de l’ouverture du funiculaire Vevey-Chardonne en 1900. Un incendie avait provoqué d’importants dégâts en avril 1917, occasionnant sa fermeture. Il faudra attendre 1920 pour qu’il rouvre, mais comme pension de famille. Finalement, en 1936, il parvient à rouvrir en tant qu’établissement hôtelier sous le nom d’Hôtel du Parc. Il sera exploité sans interruption jusqu’en 2001. Enfin, dès 2002, il est transformé en Business School, jusqu’à ce que Swiss Development Group l’acquière en 2008.
Le projet de Jean Lecler
A 34 ans, celui qui était le manager de cette résidence, planche sur le rachat de l’ensemble via une opération de tokénisation. L’objectif était de réunir 200 millions. Au final, Jean Lecler nous a indiqué avoir levé 139 millions de francs, sauf qu’il ne pouvait les débloquer que s’il atteignait 75% de la levée de fonds de 200 millions, soit 150 millions. Jean Lecler a créé la société BlocKapital, sise notamment à Paris, pour laquelle 120 personnes travailleraient dans différents pays. Il vivait jusqu’en août dernier encore dans la résidence du Parc, mais depuis, il partage son temps entre Paris et Dubaï. «Ma société est en train de lever des fonds pour financer une compagnie active dans l'hydrogène vert ou encore un club de foot français». Mais il confirme que son objectif n°1 reste d’acquérir le Mont-Pèlerin.