L'eau de pluie, une ressource inexploitée
Rien n’est éternel, pas même l’eau. Alors en prévision de son éventuelle raréfaction, autorités, experts et entrepreneurs réfléchissent déjà à la manière de l’économiser et de valoriser celle qui n’est pas potable.
Que serait notre quotidien sans une bonne douche pour se réveiller le matin? Ou un été caniculaire sans baignade dans le lac Léman? Pire encore: Genève sans son célèbre jet d’eau? Inimaginable pour beaucoup, ce scénario catastrophe risque pourtant un jour ou l’autre de devenir réalité. Notre réalité. En cause, le dérèglement climatique bien évidemment. Et même les plus climatosceptiques d’entre nous devront s’habituer à cette éventualité car les pluies diluviennes et les inondations exceptionnelles qui ont frappé le pays ces dernières semaines devraient devenir monnaie courante à l’avenir... mais seront assorties de périodes de sécheresse de surcroît plus fréquentes.
Avec 100 mm de pluie (en moyenne) déversés sur la Suisse romande pour la première fois durant le mois de mai, mois qui aura également battu tous les records de chaleur avec une moyenne globale de 15,9°C, la situation est déconcertante. Mais pour quelle raison? Une chose importante à retenir est que 40% de notre eau consommée provient de la couverture neigeuse. Or, lorsqu’il y a moins de neige, il y a alors moins de stock d’eau durant l’été. Du fait du changement climatique, les experts prévoient donc une quantité de précipitations plutôt stable à l’année mais envisagent sa répartition totalement chamboulée. Désormais, place aux hivers et printemps très humides mais à des étés et automnes très secs. Si pour l’heure, l’eau potable est encore bon marché, les épisodes de canicules et la raréfaction de l’eau qui en découlera pourraient avoir à terme raison de notre mode de vie ou de notre porte-monnaie. Certaines communes romandes font d’ailleurs déjà attention à leur approvisionnement, voyant leur source d’eau se tarir, et limitent en conséquence la croissance de leur population. Alarmant? Non. Préoccupant? Oui.
Genève se jette à l’eau
Cette question a agité le parti des Verts sous la Coupole fédérale l’an dernier. Celui-ci a déposé une motion pour rendre obligatoire l’utilisation de l’eau de pluie pour certains usages comme l’arrosage ou les toilettes. Et s’il est vrai qu’à l’heure actuelle peu de ménages helvétiques possèdent un tel système, le coût d’un récupérateur d’eau de pluie (environ 15’000 francs) constitue en tant que tel un véritable frein.
Du côté de Genève, l’Office cantonal de l’eau (OCEAU) a pris le sujet à bras le corps depuis 2019, à travers sa démarche «Eau en ville» qui organise régulièrement des rendez-vous et des partages d’expériences autour de ces enjeux. Dernier en date: mi-juin, un webinaire sur la valorisation des eaux pluviales dans les bâtiments. «Avec les Services industriels de Genève (SIG) nous avons confié cette année un mandat au bureau CSD pour qu’il analyse les 55’415 compteurs genevois d’eau potable (données de 2022) et qu’il effectue un bilan des consommations du canton, puis qu’il élabore un plan d’économies potentielles», indique Frédéric Bachmann de l’OCEAU. Aussitôt dit, aussitôt fait. Résultat, sur les 49 millions de m3 d’eau potable distribués à Genève, la grande majorité de la consommation vient du bâti et des habitations: 51% des logements collectifs, 18% des bureaux, 15% des villas individuelles, 8% de l’industrie, 4% des commerces et 3% pour l’agriculture. À l’aide des ingénieurs de CSD, des objectifs de diminution de la consommation ont ainsi pu être définis. Typiquement pour l’habitat collectif, où la moyenne est de 149 litres/habitant/jour consommés, la cible serait d’atteindre 90-110 litres/habitant/ jour pour les immeubles existants et 60-75 litres/habitant/jour pour des constructions neuves.
Du concret sur le terrain
Mais comment y arriver? Des technologies (électroménager économe), des outils (réducteurs de débit) ou un changement d’habitudes ont été identifiés mais une solution reste encore trop souvent délaissée malgré son grand potentiel. «À Genève, nous avons une pluviométrie d’environ 900 mm par an, c’est-à-dire 900 litres d’eau par m2 de surface que l’on gaspille. Cette eau est une ressource, pas un déchet, que nous devons essayer d’exploiter à l’avenir», poursuit Frédéric Bachmann.
Si le programme eco21 des SIG a lancé une action pilote du 15 mai au 31 décembre qui vise à inciter financièrement l’installation de 100 cuves de récupération d’eau chez des petits propriétaires, peu d’acteurs décisionnaires sautent réellement le pas dans les faits. Exception qui confirme la règle, la régie Pilet & Renaud s’est lancé le défi de récupérer et réutiliser cette fameuse eau de pluie à des fins sanitaires dans l’un de ses immeubles sous gestion.
«L’idée a émergé lors d’un projet de rénovation globale démarré en 2020 dans un immeuble datant de 1910, doté de 26 appartements et d’une arcade, à la rue de Carouge 87 (Genève). Notre ambition était de réduire au maximum les déchets de chantier et d’instaurer un principe de circularité des ressources. Ce que nous avons fait grâce à l’inventivité des entreprises spécialisées qui nous ont accompagnés», décrit Arnaud Pasche, architecte au sein de la régie genevoise. En matière de sanitaires, les 26 baignoires en place ont été remplacées par des douches, les réservoirs de chasses d’eau sont passés de 6-9 litres à 3-6 litres et l’ancienne cuve à mazout de 7 m3 a été traitée et raccordée aux eaux pluviales pour alimenter l’ensemble de l’immeuble. Une citerne représentant 113’000 litres d’économie d’eau potentielle par an mais dont le surcoût de travaux se chiffre aux environs des 75’000 francs.
Des innovations en appui
Du concret prometteur en pratique qui peut dorénavant compter également sur des innovations en développement. Les startups travaillant à l’économie et la valorisation de l’eau émergeant peu à peu, voici le portrait de l’une d’entre elles: Refreshing Unit, qui utilise l’eau de pluie comme source de fraîcheur en ville. «C’est une idée que j’ai creusée durant mes études, basée sur le principe d’évapotranspiration que l’on observe dans la nature. À l’image de la peau quand il fait chaud, la transpiration évacuée en surface s’évapore et extrait l’énergie de la peau, ce qui va la refroidir automatiquement. J’ai appliqué ce principe à du mobilier urbain», détaille Malcolm Onifadé, architecte au laboratoire EPFL ALICE.
Grâce à son prototype novateur de banc mobile, utilisable dans des îlots de chaleur citadins, le chercheur s’est ensuite lancé le défi d’appliquer ce système aux façades de bâtiments pour les rafraîchir. «Les pompes à chaleur aujourd’hui peuvent générer du froid mais consomment malheureusement de l’électricité. Avec mes panneaux en cours de développement, j’espère pouvoir me servir uniquement de cette seconde peau naturelle pour que l’eau de pluie baisse la température d’un immeuble», conclut le jeune homme. Porteur, le concept devrait voir le jour l’an prochain. À suivre.