Simon de Pury

L'art de vivre à fond

Après avoir été formé par le puissant marchand d'art Ernst Beyeler et chez Sotheby's, Simon de Pury a été nommé conservateur de la collection du baron Thyssen-Bornemisza. Aujourd'hui, il est la star des commissaires- priseurs. Depuis près de quarante ans, il se distingue par son style unique, alliant audace et fantaisie. Rencontre avec ce personnage emblématique.

Simon de Pury, la star des commissaires-priseurs
Simon de Pury, la star des commissaires-priseurs - Copyright (c) John Parra
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A quoi tient le charme, finalement ? À ce regard en coin ? À un blazer bleu marine à double boutonnage ? Ou peut-être à une voix rauque qui vous enveloppe, célébrant un bon mot, un trait d'esprit, ou une envolée lyrique ? Probablement un cocktail de tout ça : où qu’il aille, Simon de Pury attire les regards. Véritable maestro de la mise en scène, ses apparitions dans les salles des ventes sont toujours un événement, suscitant émoi et enthousiasme. Mais derrière cette exubérance et cette aisance apparente, il ne faut pas se laisser tromper. « Je suis quelqu'un de très timide, en réalité. D’ailleurs, j’ai commencé à organiser des ventes aux enchères pour vaincre cette timidité. » Raté. Après quarante ans de métier, notre élégant commissaire-priseur est toujours nerveux avant chaque vente. Les commissaires-priseurs ont leurs petites manies, et Simon ne fait pas exception. Pour apaiser ses angoisses, il croque une pomme et s'assure de porter quelque chose de rouge. Ce n'est qu'une fois ce rituel accompli qu'il monte sur le podium. « Le Dr Jekyll devient alors Mr Hyde et je m'amuse. » Voilà, c’est ça son secret : une préparation minutieuse et un brin de théâtralité qui transforme chaque vente en un véritable spectacle.

J'ai commencé à organiser des ventes aux enchères pour vaincre cette timidité.

Né à Bâle en 1951, Simon de Pury a grandi avec des rêves plein la tête : devenir une star du foot, du rock ou un artiste renommé. « Pelé, Paul McCartney et Picasso formaient ma sainte Trinité. » Mais le destin en décide autrement, le poussant vers sa véritable passion : l'art. En 1961, son père est muté à Tokyo pour diriger la branche japonaise de la compagnie pharmaceutique Hoffmann-La Roche. Le petit Simon est confié à des amis de la famille, les Bonhôte. De cette époque, il garde un souvenir tendre. Accueilli comme un fils, il est choyé dans cette famille de substitution. Mais ses parents lui manquent. Solitaire, il s’empreigne de l’effervescence culturelle de sa ville natale et passe des heures dans les musées, ce qui étonne son entourage. « Un soir, Madame Bonhôte me demanda où je venais de passer l’après-midi. Je lui répondis : à une exposition de Klee. Elle comprit « clés ». Peut-être me voyait-elle de l’avenir en tant que serrurier », s’amuse-t-il. Adolescent, Simon se lance dans l'étude du sumi-e à l'Académie des beaux-arts de Tokyo. « Tout le processus me fascinait, se souvient-il. Les pinceaux en bambou, véritables objets d’art, le papier washi, le plus beau du monde, et la complexité de la technique. » Malheureusement, ses tentatives de percer en tant qu'artiste sont accueillies par des refus secs de la part de galeristes new-yorkais à qui il présente son travail. Mais chaque échec est une opportunité de se réinventer : il troque ses pinceaux contre des études de droit. Nouvel abandon.

«La faculté de Genève était d’un niveau bien trop difficile pour moi. » De retour à Bâle, sa mère, désespérée, appelle son vieil ami Ernst Beyeler : « Je ne sais plus quoi faire de ce garçon. Peux-tu m’aider ? » Le marchand d’art accepte : «Envoie-le moi. » Cette rencontre change tout. Avec un instinct pédagogique affuté, Ernst Beyeler décèle les aptitudes et aspirations de Simon. Il l'envoie faire ses armes à la galerie Kornfeld & Klipstein à Berne pendant trois mois, puis chez Sotheby’s à Londres pour un an. Ensuite, une autre année à New York, toujours chez Sotheby’s. Cette période d'apprentissage marque le début d'une ascension fulgurante dans le monde des enchères et des ventes d'art. En 1979, Simon de Pury est repéré par Hans Heinrich, baron Thyssen-Bornemisza, qui lui propose de devenir conservateur de sa collection, « la plus belle au monde, rivalisant seulement avec celle de la reine d’Angleterre ». Le Bâlois s’installe alors avec son épouse et leur fils à la Villa Favorita, à Lugano. C’est dans ce cadre enchanteur que le couple accueille trois autres enfants.

L'important, c'est de garder l'esprit ouvert et de laisser parler son coeur devant chaque oeuvre d'art.

Se remémorant ces années, l’émotion le gagne. « Grâce à Heini, j’ai rencontré à peu près tous ceux qui comptent en art, en politique, dans la finance et dans la société en général. Travailler pour Heini m’a aussi procuré une incroyable confiance, autant en mon propre goût qu’en mes talents de diplomate. Si je m’entendais avec lui, je pouvais m’entendre avec tout le monde.»

En 1986, Simon de Pury change de cap et quitte son poste de bras droit du baron pour retourner chez Sotheby’s. D’abord président de la branche suisse, il de- vient ensuite président de la zone Europe. Pendant les années 1990, il pilote toutes les grandes ventes de Sotheby’s en Europe, y compris celles des Thurn und Taxis à Genève et Ratisbonne, et la vente des Margraves de Baden-Baden. En 1994, il prend en charge toutes les ventes impressionnistes majeures à New York. Son talent de showman enchante les foules. Le public adore son charme et son humour, son chic décontracté, et ses petites sorties de route imprévues. En 1997, il prend un virage audacieux en cofondant avec Daniella Luxembourg l'entreprise de conseil en art de Pury & Luxembourg Art à Genève. En 2001, cette société fusionne avec Phillips Auctioneers pour devenir Phillips, de Pury et Luxembourg, spécialisée dans la vente d'œuvres impressionnistes, d'art moderne et contemporain, de bijoux, de photographie et d'arts décoratifs des 20e et 21e siècles. Ses ventes spectaculaires et ses records établis font de lui une légende dans le monde de l'art.

EMILY IN PARIS

L'humour est fondamental dans la création artistique, nous dit Simon de Pury. « Il faut tout considérer comme un jeu, y compris la vie. Et l'humour permet de mettre une distance entre la vie et vous-même »diaporama
L'humour est fondamental dans la création artistique, nous dit Simon de Pury. « Il faut tout considérer comme un jeu, y compris la vie. Et l'humour permet de mettre une distance entre la vie et vous-même »

Aujourd’hui âgé de 73 ans, Simon de Pury déploie toujours l'énergie d'un jeune homme. Installé à Monaco depuis 2019, il partage son temps entre sa fille cadette, née de son deuxième mariage, et les grands événements culturels. Devenu une véritable icône, il apparaît régulièrement dans des émissions de télévision, jouant souvent son propre rôle. Récemment, on l’a aperçu dans la série à succès Emily in Paris. « C'est l'un des rares Suisses connus du monde entier », dit de lui François Curiel, président de Christie's en Asie.

En tant que passionné d'art, Simon de Pury est également un grand collectionneur. Sa collection personnelle est un patchwork d'œuvres contemporaines et modernes, allant des figurines de Godzilla aux vases de Picasso, en passant par les lampes d’Olafur Eliasson et les tasses à café Spiderman. « Je trouve la beauté dans tant de choses », s'enthousiasme-t-il. Lorsqu’on lui demande sa définition du beau, le commissaire-priseur rappelle qu’en art, il n’y a pas de vérité universelle. Les appréciations esthétiques sont subjectives. Comment pourrait-il en être autrement, alors que la même œuvre peut être perçue comme belle par certains et laide par d'autres ? « Je veux éliminer le préjugé selon lequel il faut être un expert en art pour avoir son propre avis. Si on peut exprimer spontanément ses émotions pour la musique en disant : « J’aime ça, ça me touche, ça me rend heureux », pourquoi ne serait-ce pas pareil pour l’art ? Mais l’art peut être intimidant. Les gens hésitent à donner leur opinion spontanée. Ils se sentent obligés d'adopter une approche intellectuelle face à une œuvre. » Et il conclut : « L’important, c’est de garder l’esprit ouvert et de laisser parler son cœur devant chaque œuvre d’art. »

1951 Année de naissance

1979 Conservateur de la collection du baron Thyssen-Bornemisza

1986 Président de la branche suisse chez Sotheby’s

1997 Co-fondation de Pury & Luxembourg

2001 Pury & Luxembourg fusionne avec Phillips Auctioneers et devient Phillips, de Pury et Luxembourg