Géothermie: mirage ou solution?
Se heurtant au défi de la disponibilité d’espaces en surface pour la réalisation de forages et de centrales thermiques, le canton étudie toutes les possibilités en vue d’atteindre ses objectifs 2030 et tenir un planning autant chargé que serré.
Dans sa ligne de mire, le canton de Genève vise un apport de 150 GWh (provenant notamment de la chaleur présente dans le sous-sol) d’ici 2030 et 500 GWh à l’horizon 2050 afin d’être chauffé 100% au renouvelable. Réaliste? Peut-être pas mais dans leur recherche de solutions, des équipes s’activent depuis maintenant dix ans pour parvenir à lever quelques-uns des nombreux obstacles sur le chemin de la géothermie. Un panel d’experts du programme GEothermies est venu justement présenter l’avancée genevoise sur le sujet lors des «Jeudis de l’environnement» fin novembre.
La longue phase d’acquisition
Nicolas Clerc, géologue, a débuté avec une piqûre de rappel, nous replongeant en automne 2021 dans la campagne de mesures sismiques 3D qui avait fait grand bruit (dans tous les sens du terme), provoquant le mécontentement de certains propriétaires, gênés par cette opération de grande ampleur. «Notre mission était de dresser une échographie tridimensionnelle du sous-sol genevois, jusqu’à une profondeur de 5000 mètres. Il a fallu pour cela parcourir tout le canton à l’aide de onze camions-vibreurs durant cinq semaines (voir encadré), y compris sur le lac et dans des environnements particuliers comme l’aéroport», décrit-il.
Cette récolte d’une masse de données (équivalente à 25 millions de morceaux de musique en mp3), inédite en Suisse et complexe au vu des moyens techniques, financiers et humains déployés a permis de mieux connaître les sous-sols. «Cela valait la peine, ajoute Nicolas Clerc. Nous disposons à présent d’un schéma de zones de failles précis qui nous permet de cibler nos forages et de dé-risquer les projets géothermiques à venir.» Une vision sismique 3D qui apporte une véritable plus-value et qui sera à nouveau utilisée début 2025 dans le canton de Vaud. En effet, prévue sur quatre semaines, une campagne de prospection similaire se déroulera sur environ 240 km2, entre les régions de Morges et du grand Lausanne.
Maintenant, place à l’action
À Genève, fortes de ces avancées, les équipes de GEothermies ont quant à elles pu définir des zones propices à l’exploitation de fluides géothermiques sous terre, comme l’a confirmé Carole Nawratil de Bono, cheffe de projet aux Services industriels de Genève (SIG). «Nous souhaitons creuser à une profondeur d’environ 1000 mètres, où l’eau circule à 40-45 degrés pour récupérer cette chaleur. Il s’agit de forages verticaux ou légèrement déviés qui seront actifs 24h/24, 7 jours/7 durant un à six mois et où l’on doit disposer de 1000 à 8000 m2 de surface pour intervenir avec du matériel lourd», commente-t-elle.
Une fois installée, la centrale de forage peut être située sur un terrain de sport, un parking ou tout autre emplacement flexible mais ne doit pas être recouverte par un bâtiment, puisqu’une maintenance a lieu toutes les décennies. L’accessibilité à ce type de parcelle, d’une telle dimension, s’apparente donc à une denrée rare à Genève... Un forage est néanmoins prévu sur la commune de Satigny l’an prochain (si tout se déroule comme espéré). Un appel d’offres est lancé et le démarrage agendé à septembre 2025.
Restent encore quelques défis
Plusieurs autres terrains sont également en cours de négociation pour envisager une exploitation autour de 2027-2028 mais rien n’est acté. Outre le coût de ces opérations qui limite les tentatives (un forage se chiffre entre 20 et 100 millions de francs), les experts se doivent de conjuguer toute une série de critères pour la réussite d’un projet de forage. Parmi eux: «Il ne faut ni se trouver trop loin de la ressource, ni trop loin des consommateurs de l’énergie produite, il faut faire avec les (in)disponibilités foncières d’un canton très dense et urbanisé, prendre en compte les évolutions futures autour de la parcelle (construction d’un futur quartier par exemple), tenir compte des contraintes légales telles que des oppositions dans le processus de planification mais aussi ne pas oublier le patrimoine, l’arborisation, la protection des eaux, la gestion du bruit, les sites pollués etc.», liste Maude Sauvain, directrice du bureau Latitude Durable, partie prenante au programme.
Une fois tous ces facteurs susceptibles d’influencer la faisabilité des projets intégrés dans l’équation, le nombre de parcelles favorables à l’exploitation géothermique à Genève se réduit comme peau de chagrin. Alors même si le programme est limpide et des moyens sont d’ores et déjà débloqués, les opportunités à dénicher seront la clé de tout. Et là, difficile de savoir ce qu’il en sera d’ici 2030. Une pesée des intérêts va donc devoir se jouer au niveau des politiques publiques ces prochaines années. Les décisionnaires ont les cartes en mains et pourront faire
en sorte que la géothermie genevoise devienne la solution de demain ou bien un simple mirage lointain...
La campagne de prospection en chiffres
- 5 semaines de campagne en 2021
- 187 km2 de surfaces couvertes
- 19’000 parcelles visitées (publiques et privées)
- 6 nuits par semaine
- 200 personnes sur le terrain chaque jour
- 15 millions de francs engagés
Quid de l’électricité?
Pour l’heure, les forages géothermiques envisagés à Genève seront dédiés à fournir de la chaleur uniquement. Pour produire de l’électricité, il faudrait descendre encore plus en profondeur, là où l’eau chaude avoisine les 100 degrés (à plus de 3000 mètres sous la surface de la terre) mais les premières cartes réalisées ciblent surtout des zones du centre-ville et des niveaux géologiques encore peu explorés en Suisse. Le potentiel existe donc mais ne sera pas exploité pour le moment, faute de temps, de connaissances et de moyens. À noter que les États-Unis (premiers producteurs mondiaux d’électricité géothermique) couvrent 5% de leurs besoins de cette manière. La Suisse devra pour sa part se montrer encore patiente.