Du béton qui détonne...
Émissions de carbone, extraction abusive de sable, obsolescence programmée, production de déchets... ce matériau présent dans la plupart de nos bâtiments pèse lourd sur la balance de l’écologie mais une poignée de solutions tentent d’émerger.

Seriez-vous capable de donner la recette magique qui permet de fabriquer le matériau principal du bâtiment dans lequel vous travaillez, celui où vous faites vos courses ou tout simplement où vous vivez? Non? Pourtant rien de complexe à cela: mélangez deux composants que l’on trouve presque partout sur la planète (du calcaire et de la marne), chauffez le tout à 1500 degrés pour obtenir ce que l’on appelle du clinker. Puis ajoutez des additifs pour concocter du ciment. On mixe ensuite ce ciment avec du gravier/ sable ainsi que de l’eau et pouf! Vous avez du béton.
Un procédé que l’on doit aux Romains qui avaient réussi il y a plusieurs siècles déjà à construire des dômes géants en béton, tels que celui du célèbre Panthéon (43 m de diamètre) qui trône aujourd’hui encore au centre de Rome. Pourtant délaissé par la suite, le béton reviendra en force au début du 20e siècle, jusqu’à devenir LE matériau de construction par excellence. «À l’école d’architecture on vous enseigne très peu d’alternatives, on utilise le béton par défaut. C’est bien après mes études que j’ai compris toutes les implications environnementales de cette surproduction de la matière», décrit Alia Bengana, architecte et professeure à l’EPFL.

Présente début mars lors d’une conférence organisée par la Bibliothèque de l’Immobilier et Naef, l’autrice de la bande dessinée «Béton, enquête en sables mouvants » déplore le manque d’information auprès du grand public. «Le béton est à l’origine de 8% des émissions de gaz à effet de serre mondiales et le sable qui le compose est le deuxième composant le plus utilisé après l’eau. Alors j’ai essayé d’informer la population via un roman graphique, pour vulgariser un fait de société pour l’heure méconnu», indique-telle. Et, en effet, même si tout le monde sait, d’une façon ou d’un autre, que le béton pollue, personne ne se penche réellement sur la question. Bien au contraire, on continue de répandre ce matériau comme une traînée de poudre.
À l’instar de l’Afrique où l’ère de la bétonisation bat son plein. «Le changement s’est opéré il y a un bonne vingtaine d’années sous l’impulsion d’Aliko Dangote (50e fortune mondiale) qui a ouvert la première cimenterie «made in Africa» face aux géants européens, afin de produire localement cette denrée autrefois réservée aux colons. Le ciment est donc assimilé à une valeur très positive là-bas. Symbole de réussite et de modernité, on ne remet absolument pas en doute ce matériau qui est pourtant inadapté au climat tropical de ces pays», constate Armelle Choplin, géographe et professeure associée à l’Université de Genève.
Quatre conséquences méconnues

D’autant que le béton engendre quatre problématiques majeures soulevées par les chercheuses. Premièrement, la plus connue: la production de CO2. «Lorsque l’on chauffe ensemble le calcaire et le marne, il y a une réaction chimique qui se produit et qui émet du CO2. Ce qui explique qu’il soit si compliqué de décarboner le ciment car même si on arrive à diminuer les émissions du four, le procédé de fabrication en lui-même est très polluant», confirme Alia Bengana. Deuxième complication soulevée: l’extraction de ses composants. L’humanité ayant extrait 40 à 50 milliards de tonnes de sable et de granulats par an (soit 18 kilos par jour et par personne) et la demande ayant été multipliée par trois en 20 ans (neuf fois plus que le pétrole), il y a urgence à freiner ce phénomène assurent les deux femmes. «Ce n’est pas seulement que le sable s’épuise car on possède un grand nombre de montagnes à grignoter mais c’est la manière dont il est extrait qui est préoccupante. Principalement recueilli dans les océans et les rivières, les conséquences environnementales sont catastrophiques», soutient la professeure de l’EPFL.
À Genève, un homme se bat d’ailleurs depuis des années pour créer un observatoire du sable et imposer cette thématique aux Nations Unies. Cependant, deux pays émettent un veto, à savoir l’Inde et l’Arabie Saoudite. Cette dernière étant en train de construire «The Line», une ville futuriste, linéaire et monumentale, située en plein désert. Un désert de sable, une aubaine donc? Que nenni. Le sable du désert étant trop fin pour produire du béton, cette ville sera construite en important des grains du monde entier... Mais revenons à nos problèmes découlant du béton.
L’obsolescence programmée de ce matériau est également pointée du doigt par les expertes. Si une pièce de béton non armée laissée à l’air libre peut durer des siècles sans souci, celui contenant de l’acier (autrement dit la plupart des cas), qui est exposé aux intempéries, vieillit mal. Pire encore, s’il n’est pas entretenu, celui-ci s’effondre tôt ou tard comme il l’a été constaté avec le pont de Gênes récemment et un peu partout sur les infrastructures routières aux Etats-Unis. «Au début du 20e siècle, nous n’avons pas anticipé qu’il faudrait investir autant d’argent pour entretenir ces constructions en béton. En Suisse, cela chiffre vite. Il a été calculé que pour entretenir tous nos ouvrages bétonnés dans le pays, il faudrait 8000 francs par an et par personne», soulève Alia Bengana.
Des solutions se mettent en place

Enfin, dernier point en défaveur du béton: la production de déchets qu’il génère. Considéré comme le seul matériau de l’histoire de la construction humaine qui se transforme en déchet en fin de vie, les réflexions commencent enfin à s’orienter vers le réemploi... mais les solutions sont encore bien maigres. Les cimentiers ont malgré tout entamé leur transition pour atteindre la neutralité climatique d’ici 2050 et des ciments/bétons alternatifs, plus verts, font leur apparition bien qu’aucune recette miracle n’ait encore émergé pour l’heure.
Alors pour faire bouger les lignes, Armelle Choplin et Alia Bengana espèrent la mise en place d’un ensemble de mesures toutes nécessaires. «Le béton n’est pas une matière qu’il faut rayer de la liste des matériaux mais il s’agit plutôt de l’utiliser le moins possible et de faire en sorte qu’il dure le plus longtemps possible», précise cette dernière. Armelle Choplin appelant pour sa part à une prise de conscience citoyenne: «Tant qu’il n’y aura pas de demande sociale, les autorités ne seront pas incitées à intervenir. L’individu doit se demander dans quoi il habite tout comme il se questionne sur ce qu’il mange.» En ce qui concerne les lois, Genève fait figure de pionnière sur ces questions d’énergie grise. Imposant d’ici 2029 un bilan carbone avec des seuils de CO2 à respecter lors de dépôts d’autorisation.
Reste à savoir calculer correctement cette empreinte carbone des matériaux et à dimensionner autre chose que le béton. Mais là encore, des filières vont devoir se développer et sont pour l’instant très limitées. C’est pourquoi, afin d’aider les ingénieurs et architectes à mieux appréhender ces nouveaux matériaux, la première matériauthèque de Suisse a été créée l’automne dernier à Crissier (VD). «Pour voir concrètement les possibilités qui s’offrent à nous (lin, paille, argile, pierre, chaux, bois...), comment les intégrer dans les projets immobiliers et à quel coût», explique Marie-Laure Dalon de Magenta Eko, la société instigatrice de cette initiative. Ouverte pour des visites, cette matériauthèque sera également présente avec un stand lors de la Real Estate Week qui se tiendra du 31 mars au 4 avril prochains au Swiss Convention Center de l’EPFL. Avis aux amateurs.
Quelques chiffres
Avec 40 millions de tonnes par an, la Suisse figure parmi les plus grands consommateurs de béton. 8% des émissions mondiales de CO2 sont à imputer au béton.
La première cimenterie de Suisse est née en 1871 à Luterbach (SO).
Seules 6 cimenteries sont aujourd’hui actives en Suisse.
Pour substituer 25% du béton produit chaque année, il faudrait une forêt une fois et demie plus grande que l’Inde.