Des bureaux flottants uniques
En raison du changement climatique, certaines villes développent des solutions innovantes pour lutter contre les inondations. Construite à 85% sous le niveau de la mer, Rotterdam se positionne en leader dans ce domaine. Visite en exclusivité du Floating Office Rotterdam (FOR), le plus grand bureau flottant du monde.
![Le Floating Office Rotterdam (FOR), un concept avant-gardiste. Le Floating Office Rotterdam (FOR), un concept avant-gardiste.](https://www.immobilier.ch/media/7279/img_20240717_102604-article-item-main.jpg)
![Maisonnettes flottantes à louer à côté du FOR. Maisonnettes flottantes à louer à côté du FOR.](/media/7276/1000050095.jpg)
Têtes couronnées et dirigeants du FMI ou des Nations Unies ont visité ces bureaux différents des autres. Inauguré en septembre 2021, cet immeuble flottant de trois étages et 3606 m2 de surface locative, n’est pas un bateau ou une péniche transformée en bureau. Le FOR est fixé à 15 pontons en béton, scellés dans le port de Rijnhaven, un quartier en pleine transformation et qui prévoit d’être 100% à l’épreuve du climat d’ici à 2025. Une longue rampe en bois bordée d’un espace de baignade et de maisonnettes de vacances sur l’eau mène à ce site unique. L’espace flottant étonne, interroge. Il défie toute construction classique. Un magistral escalier en colimaçon tout en bois relie des espaces de travail, un restaurant et plusieurs entreprises, dont Power House, concepteur de ce lieu hybride. Tous sont portés par l’eau. En sus, une dizaine d’abris écologiques cohabitent avec les collaborateurs, dont des nids de chauve-souris.
Mouvement permanent
«Le Floating Office monte et descend de deux mètres chaque jour et pourtant on ne sent rien, même en cas de tempête. Seule différence perceptible avec des bureaux classiques, il n’y a pas de lampes suspendues, commente Adam Bagyi, responsable des partenariats chez Global Center on Adaptation (GCA). L’organisation internationale d’une cinquantaine de collaborateurs est située au dernier étage et s’occupe d’accélérer l’action et le soutien aux solutions d’adaptation. Le FOR en est un joli exemple». Adam Bagyi s’approche du balcon et montre la ligne de mousse verte sur le mur de la rive en signalant qu’on va encore descendre d’un mètre aujourd’hui, avant de remonter. « Les évacuations d’eau et les gaines techniques nous relient à la terre ferme par des tuyaux flexibles. Un système d’équilibrage entre l’avant et l’arrière de l’immeuble permet d’absorber les courants forts tout en assurant la solidité et la stabilité du bâtiment » relève-t-il. Une nécessité lorsqu’on apprend que le bâtiment mesure près de 100 mètres de long sur 25 mètres de large et qu’il compte 927 m2 de fenêtres en triple vitrage.
![L'escalier central, en bois durable, vogue au gré des flots. L'escalier central, en bois durable, vogue au gré des flots.](/media/7275/1000050083.jpg)
Le matériau principal reste toutefois le bois. Tout est construit ou presque en panneaux massifs lamellés croisés (CLT) provenant d’Allemagne et certifié durable. Mais surtout, tout est recyclable. «Le FOR est un exemple remarquable de conception circulaire. Plus de 1200 tonnes de CO2 ont été économisées par rapport à une construction classique en béton. La modularité du bâtiment permet montage, démontage et recyclage de manière facilitée» note Adam Bagyi qui a vu les bureaux naître sur l’eau.
Efficience énergétique hors norme
Pour ne rien gâcher, l’immeuble est autosuffisant. Il émet moins qu’il ne produit, ce qui en fait un bâtiment à bilan carbone négatif. Il a une note énergétique A+++++ et a obtenu la certification BREEAM Outstanding Sustainability. Un tableau numérique à l’entrée affiche le monitorage en permanence. On y suit ainsi, en temps réel, la production énergétique des 870 m2 de panneaux PV (+109% par an) et la gestion de l’eau.
Les toits en sedum avec un système de rétention hydrique offre une réutilisation de l’eau intelligente en plus d’encourager la biodiversité. Information étonnante issue du rapport de durabilité du bâtiment: «la zone de nage au sud a été construite pour compenser le poids du toit en sedum qui inclinait le bâtiment flottant de 2 cm». L’eau est assurément le point central de ces bureaux futuristes, puisque c’est grâce à l’aquathermie que la température du bâtiment est régulée. «Nous utilisons la surface de l’eau pour refroidir ou chauffer le bâtiment. Il n’y a donc pas d’énergie fossile utilisée pour chauffer» mentionne Adam Bagyi.
Cette même eau accueille les baigneurs, en plein centre urbain. «Au Pays-Bas, il y a des applications pour tout. Par exemple, on peut voir si la qualité de l’eau est bonne pour la baignade ou pas. Tout est contrôlé et accessible avec un smartphone» glisse notre hôte.
![Le restaurant au rez de l'immeuble flottant n'a pas peur du mouvement. Le restaurant au rez de l'immeuble flottant n'a pas peur du mouvement.](/media/7277/1000050102.jpg)
Avant le délai
Enfin, et cela fera pâlir plus d’un promoteur, le projet a été terminé avant le délai prévu. Ainsi, il a fallu 18 mois pour construire le FOR. Porteuse du projet, la municipalité de Rotterdam a fait don du bâtiment à la GCA en 2021. Rotterdam fait d’ailleurs partie du programme des villes les plus résilientes du monde et dispose d’un responsable de la résilience depuis une décennie au moins, un modèle du genre. Au moment de quitter l’endroit, les cuisines du restaurant commencent à tinter. Les tables sont dressées avec des verres à pied vertigineux. Aucun risque pour les flutes de Champagne et ce malgré le mouvement quotidien aussi imperceptible que réel.
ROTTERDAM, LA VILLE-ÉPONGE
![La forêt d’échafaudages sonore émet des chants d’oiseaux. La forêt d’échafaudages sonore émet des chants d’oiseaux.](/media/7278/1000050135.jpg)
L’innovation est au cœur de nombreux bâtiments de Rotterdam. Appelée ville éponge, la cité voit son destin lié à celui de l’eau depuis huit siècles. Symbole de cette réalité: Water Square est situé plus de 6 mètres sous le niveau de la mer. Le designer urbain Dirk van Peijpe y a construit trois agoras pour la population du quartier, mais leur but premier est de servir de bassins de rétention d’eau en cas de pluies intenses. Deux millions de litres d’eau peuvent être stockés ici. Près de la gare, le parc Westersingel fonctionne selon le même principe avec un canal creusé plus profond afin d’accueillir les pluies.
Autre démonstration de la résilience de la ville, en 2014 déjà, le Dakpark est devenu le plus long parc sur toit d’Europe avec ses 1000 mètres de verdure. Même les arrêts de bus sont végétalisés, offrant une régulation thermique des abris, évitant les ruissellements d’eau et absorbant le bruit du trafic. Grâce à un programme de subventions, la ville compte plus de 250 000 m2 de toits verts.
Le SAWA Building pousse le concept du «green building» plus loin encore. Cet immeuble résidentiel de 50 mètres de haut est construit en bois recouvert de plantes. Il accueille une variété d’oiseaux qui vivent sur ses différentes terrasses.
Surprenant également, cette ville qui jongle avec la nature a transformé ses chantiers en forêts d’échafaudages. Lorsque vous traversez les travaux du pont Erasmus, vous passez sous des structures métalliques décorées de rubans colorés et distillant de discrets chants d’oiseaux. Vous ne rêvez pas, les échafaudages émettent de la musique. Une manière peu conventionnelle d’atténuer l’impact des chantiers en ville.