David Niven, le dandy britannique devenu vaudois
Une fois par mois, nous vous emmenons à travers des bâtisses et des édifices connus ou moins connus de Suisse. Dans ce numéro, place à Château d’OEx, dans le Pays-d’Enhaut, avec David Niven et son chalet qu’il surnommait «le coucou suisse». L’acteur à la souriante désinvolture, au flegme so british, y a vécu de 1960 jusqu’à sa mort en juillet 1983.
Ceux qui l’ont vraiment connu ne sont plus là pour en parler. David Niven est mort il y a presque quarante ans déjà, le 29 juillet 1983, après 73 ans d’une vie si étonnante qu’on la croirait sortie tout droit de l’imagination de Charles Dickens. Son histoire débute dans le smog londonien, le 1er mars 1910. À l’âge de cinq ans, le petit David est déjà orphelin de père. À six ans, sa mère épouse en deuxièmes noces Sir Thomas Comy-Platt, un beau-père qui se charge aussitôt de l’expédier dans un pensionnat. «À part les Chinois, le seul peuple au monde qui confie ses jeunes fils aux tendres soins de maîtres d’école inconnus et souvent pédérastes à l’époque précise où ils ont le plus besoin de l’amour et de l’influence de leurs parents, ce sont les Britanniques des classes dites hautes et moyennes», écrit-il dans ses mémoires avec cet humour pince-sans-rire qui a fait sa renommée. Au bout de deux ans de ce purgatoire, la mauvaise nourriture provoque chez l’enfant la poussée d’un énorme et douloureux abcès. L’intendante décide de ne pas en faire grand cas et le crève avec une paire de ciseaux. La plaie s’infecte, David Niven fini à l’hôpital. Après cette mésaventure, on le scolarise à Heatherdown, une public school dans laquelle il s’épanouit enfin. Trois ans plus tard, il est expulsé de ce «paradis» pour indiscipline à une époque où le renvoi équivaut à un désastre pour un enfant. Pour le punir, sa mère l’expédie dans une école pour «cas difficiles». Il vient d’avoir dix ans. L’enfant dort sur des étagères en bois et passe ses journées à briquer les parquets. Coups, humiliations, et nourriture insalubre sont à nouveau son quotidien. «Chaque journée était une torture pour moi, se souvient-il. Je ne reçus pas un seul mot de ma mère et quand, un jour, j’empruntai assez d’argent pour lui souhaiter joyeuses Pâques par téléphone, on raccrocha dès qu’on entendit ma voix.»
Un gentleman à Hollywood
Passons sur cette enfance de misère et avançons jusqu’à l’année 1933. David Niven est désormais lieutenant mais sait qu’il n’est pas fait pour une carrière militaire. Insolent à l’armée, il est mis aux arrêts pour insubordination. Il se gagne cependant la sympathie du geôlier en partageant une bouteille de whisky puis s’échappe par la fenêtre. On le retrouve quelques mois plus tard aux États-Unis, «versé dans le plagiat littéraire, le commerce de spiritueux, la danse professionnelle et même la course de poney, avant que le destin se ressaisisse et le pousse vers les caméras des grands studios», lit-on dans sa biographie. Il est en effet remarqué par le légendaire producteur Samuel Goldwyn, qui lui offre un contrat de sept ans avec la MGM. Le lendemain, la toute puissante journaliste Louella Parsons titrera: «Goldwyn prend un inconnu sous contrat!» À compter de cet instant, la chance lui sourit enfin. Les films s’enchaînent. On retrouve sa silhouette longiligne et sa fine moustache dans La lune était bleue, qui lui vaudra un Golden Globe, Bonjour tristesse, La Panthère Rose, Tables séparées qui lui offre l’oscar du meilleur acteur mais aussi et surtout dans Le tour du monde en 80 jours, qui remportera un succès international et dans lequel sa prestation de l’aventurier gentleman Phileas Fogg marquera le public. De ces années hollywoodiennes, il dira: «C’était vraiment amusant. Imaginez un instant être merveilleusement surpayé pour bien vous habiller et jouer à des jeux. C’était comme être Peter Pan!»
Au début des années ’60, sur le conseil d’amis établis dans la région, David Niven acquière le chalet St André, qu’il surnomme son cuckoo-clock, à Château-d’OEx (aujourd’hui situé au chemin David-Niven). Les habitants croiseront cet élégant gentleman à ski, sur les pistes des Monts-Chevreuils. L’antiquaire Aloïs Rosat, cité par le journal fribourgeois La Gruyère, rapporte cette anecdote amusante: «Il ne frayait pas avec n’importe qui. C’était presque une caricature de l’Anglais, parfois hautain, proche de ses sous, mais toujours courtois. Un jour, notre chien s’est égaré dans sa propriété. David Niven nous a appelés, et avec son accent anglais incomparable, nous a déclaré mi-figue mi-raisin «Vous devriez donner plus de biftecks à votre chien, il aime les steaks, vous savez!»
S’il était proche de ses sous, le coucou dans lequel il aimait recevoir ses amis (parmi lesquels figuraient Natalie Wood, Audrey Hepburn, Rainier de Monaco et Grace Kelly, pour ne citer qu’eux) n’en sera pas moins fastueux. Cet intérieur a été immortalisé en avril 1965 par le magazine Grazia. Dans ces clichés aussi rares qu’inédits, David Niven est photographié aux côtés de son épouse, l’actrice suédoise Hjördis Niven, en train de préparer une fondue pour ses invités. Le sous-sol du chalet comprenait une salle de cinéma, un sauna et une hobby room, une vaste pièce consacrée aux loisirs. Dans un des clichés, les Niven admirent une fresque murale peinte par l’acteur, représentant une scène tauromachique (aux dernières nouvelles, elle y figurerait toujours). Au premier étage, l’entrée donne directement sur un vaste salon-bibliothèque, entièrement recouvert de panneaux de bois. «La maison a cinq salles de bain, précise Grazia, deux chambres d’hôtes, et le chauffage central au fuel avec radiateurs.» Partout, une gamme de tons chauds composée principalement de rouges et d’ocres a été utilisée pour le mobilier, les moquettes et même les volets. Dans la salle à manger, un coffre datant de 1759 accroche le regard. Atteint de la maladie de Charcot, David Niven s’éloignera de la vie publique au début des années ’80. Il s’éteindra dans ce décor chaleureux, entouré des siens.