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David Bowie, l'extraterrestre qui aimait la Suisse

Une fois par mois, nous vous emmenons à travers des bâtisses et des édifices connus ou moins connus de Suisse. Dans ce numéro, place aux hauts de Lausanne avec David Bowie et le château du Signal. Chanteur, compositeur, producteur, peintre et acteur, le mutant aux cent visages avait une relation forte avec notre pays, où il a vécu une vingtaine d’années.

Le Clos des Mésanges fût la résidence de David Bowie entre 1976 et 1982.
Le Clos des Mésanges fût la résidence de David Bowie entre 1976 et 1982. - Copyright (c) © Riviera Images
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« Il y a une mouche qui se débat dans mon verre de lait. C’est un corps étranger à l’intérieur, ça lui fait beaucoup de lait à boire. C’est un peu comme ça que je me sens en ce moment, comme un corps étranger. Je dois tout absorber. » Cette citation est extraite de David Bowie, L’Homme Cent Visages ou le Fantôme d’Hérouville , un documentaire qui retrace l’hypnotique carrière du chanteur aux yeux vairons de manière synthétique et très anglée. On y voit David Bowie au milieu des années ’70, sillonnant les routes californiennes à l’arrière d’une voiture. La cocaïne qu’il consomme avec « une habitude rageuse » l’a rendu paranoïaque au dernier degré, en proie à des délires de persécutions qui altèrent sa légendaire lucidité. Semblable à cette mouche qui se débat dans son verre, l’artiste se bat avec ses démons qu’il tente de noyer dans l’alcool. « Il se saoulait presque jusqu'à la mort », lit-on dans la biographie que lui a consacré Dylan Jones, le puissant rédacteur en chef du magazine GQ.

Pour décrocher de la drogue, David Bowie s'exile un temps en Suisse. Au milieu des années 1970, notre petit pays est calme, très calme. « Les villes suisses étaient les plus ennuyeuses du monde », rappelle Lurker Grand, qui a consacré un livre au punk helvétique. « Les hippies tenant toute la scène culturelle, la jeune génération a seulement le choix entre théâtre ou blues en matière de sorties, relève de son côté l’autrice Caroline de Kergario dans No Future, Une histoire du punk . Et encore, seulement en ville ! Parce qu’à la campagne c’est Bratwurst (saucisse), bouses de vaches et éducation catholique, autrement dit le coma profond… ». Déterminé à se débarrasser de sa dépendance à la cocaïne, ce « coma » sied toutefois à David Bowie qui se met au vert. «Ses années suisses ont été celles d’un homme simple, assure Jaquelyne Ledent-Vilain, backstage du montreux jazz, dans les colonnes du Temps. On ne l’a pas connu sous son aspect flamboyant. »

La star britannique s'installe dans un premier temps avec son épouse Angela et leur fils Zowie dans un chalet suisse typique, Le Clos des Mésanges, situé sur les collines de Blonay, au-dessus du lac Léman. « Il dit apprécier la tranquillité du lieu, mais la discrétion du fisc y est certainement aussi pour quelque chose », note le journaliste suisse Marc-André Miserez. A quelques kilomètres de son domicile, il travaille avec le Mountain Studio, basé au Casino Barrière de Montreux, qui verra défiler entre ses murs les Rolling Stones, Queen, Yes, AC/DC, Iggy Pop et tant d’autres.

En 1979, David Bowie y produit Lodger, le troisième album de sa trilogie dite berlinoise, inspirée par son séjour dans la ville allemande encore coupée en deux. C'est à la même période que naît aussi son premier fan club dans la région. En 1981, le « Thin White Duke » est à nouveau à Montreux pour jouer les choristes sur Cool Cat, une chanson très pop de Queen. Mécontent du résultat, il finit par enregistrer en 24 heures seulement un tout autre duo avec le groupe de Freddie Mercury, Under Pressure , qui deviendra un tube planétaire. De façon quelque peu surprenante, Freddie Mercury et David Bowie ont enregistré leur voix sans jamais entendre celle de l’autre et ne l’ont par la suite jamais joué en live ensemble.

Le très luxueux Château du Signal, dans le bois de Sauvabelin.diaporama
Le très luxueux Château du Signal, dans le bois de Sauvabelin.

Merci pour la tranquillité

En 1982, divorcé, David Bowie quitte la commune de Blonay pour les hauts de Lausanne, où il acquiert le très luxueux Château du Signal, dans le bois de Sauvabelin. Un mot sur cette demeure bourgeoise de quatorze pièces qu’il partagera avec son fils et son assistante Corinne Schwab. Le Château du Signal – ainsi nommé car il se situe sur la route du Signal, au numéro 22 - a été construit en 1900 pour un prince russe par Jules Diserens, un Suisse qui avait fait carrière en Russie. Avant d’être la demeure d’une icône pop mondiale, il fut la propriété d’Albert Mermoud, fondateur de la Guilde du Livre, de 1932 à 1982.

Plus tard, en l’an 2000, cette bâtisse servira de décor au film de Claude Chabrol, Merci pour le chocolat.diaporama
Plus tard, en l’an 2000, cette bâtisse servira de décor au film de Claude Chabrol, Merci pour le chocolat.

Détail amusant : la créatrice de mode Coco Channel souhaitait elle aussi l'acquérir, mais l'homme avait refusé ses millions. Plus tard, en l’an 2000, cette bâtisse servira de décor au film de Claude Chabrol, Merci pour le chocolat , avec Jacques Dutronc et Isabelle Huppert. Pour la petite histoire, lorsqu’il s’y installe, David Bowie fait appel à une décoratrice d’intérieur particulière, au goût très sûr : Oona Chaplin, qui réside non loin de là, dans le spectaculaire Manoir de Ban (qui a également fait l’objet d’un papier dans nos pages). « David Bowie veillera cependant à ce que la dernière épouse de Charlot touche le moins possible au décor de la demeure, ornée de boiseries et de faïences », précise Bertrand Meyer-Stabley dans le livre Oona Chaplin. A quoi passera-t-il tout son temps ? A peindre, puis à monter des expositions de tableaux. Il montera également son entreprise internet, BowieNet. Les Lausannois le croiseront chez Globus, à la boucherie, ou encore en train d’acheter des vinyles. Le respect de la sphère privée en Suisse lui permettra de sillonner les rues en toute tranquillité et de travailler dans le calme. « Ici on me laisse en paix, dira-t-il. C'est le seul endroit au monde où je reviens volontiers. » Le 24 avril 1992, dans la plus grande discrétion, il épousera en secondes noces le mannequin d'origine somalienne Iman Abdul Majid à l'Hôtel de Ville, place de la Palud à Lausanne. La cérémonie se déroulera avec uniquement six personnes dans la salle. La presse ne l’apprendra que dix jours plus tard. En 1997, le couple quittera la Suisse pour s’installer à Londres et à New York où l’artiste aux cent visages s’éteindra le 10 janvier 2016.