Coup de chaud pour la filière du bois suisse
Réchauffement climatique, parasites, concurrence étrangère, etc. Si nos forêts suisses se révèlent être un vivier prometteur et durable de matériaux pour nos bâtiments, de nombreux défis freinent pour le moment la demande.
Le temps file. Le cap de 2024 est déjà derrière nous tandis que celui de 2050 et sa neutralité carbone se rapproche dangereusement.
Même si la machine est en marche pour atteindre cet objectif ambitieux, 26% des émissions de gaz à effet de serre de la Suisse sont encore et toujours issus du secteur du bâtiment. Parmi les solutions déployées: rénovation, subventions, énergies renouvelables ou encore matériaux biosourcés, comme le bois, ont finalement retenu toute notre attention. Jusque-là parsemé par petites touches dans les projets de construction, le bois (qui représente 15% du parc bâti existant) était plutôt réservé aux chalets suisses et aux abris agricoles. Désormais star des projets d’architecture, on le considère à présent volontiers comme la carte durabilité à jouer pour des conceptions plus «vertes».
Toutefois, lors d’une conférence organisée début février par le Groupe professionnel environnement de la SIA (Société suisse des ingénieurs et des architectes) Genève, plusieurs professionnels de la filière du bois suisse ont tenu à relever quelques limites concernant cette transition qui s’opère et s’accélère alors qu’elle présente son lot de défis majeurs pour les professionnels du domaine.
Gestion à double tranchant
En Suisse, environ un tiers du territoire est composé de forêts, soit 1’271’000 hectares. Pour l’heure, les forestiers qui dé- terminent chaque année un programme d’exploitation annuel parviennent à absorber la demande puisque comme l’a précisé Alix Mercier, ingénieur d’arrondissement du Val de Travers (NE): «il pousse deux fois plus de forêt que ce que l’on exploite actuellement dans le pays». Pas de pénurie de bois en vue donc.
L’un des premiers points noirs de l’équation «verte» du secteur de la construction se situe en réalité au niveau des scieries de nos cantons. Ces entreprises historiques, souvent centenaires mais méconnues, qui se chargent de récupérer le bois entreposé en forêt pour ensuite le transformer une première fois. Débitage, écorçage, sciage, rabotage, vernissage... un travail indispensable pour pouvoir métamorphoser nos arbres en charpente, planches de menuiserie, bois de construction ou encore bois d’emballage.
Sauf que ces scieries locales travaillant à partir de bois suisse font face à des soucis de rentabilité. Ayant besoin de place et la place coûtant cher en Suisse, la génération qui prend la relève dans ces sociétés préfère bien souvent valoriser le terrain plutôt que reprendre le flambeau. Si bien que l’offre se raréfie au fil du temps. Autre problème qui en découle en partie: la concurrence étrangère. Du fait du manque d’acteurs et des prix plus attractifs ailleurs, le bois vient de plus en plus fréquemment de l’étranger sur les chantiers. «Avant on construisait avec du bois massif, aujourd’hui on importe du bois collé pour sa simplicité de mise en œuvre. Or, outre son transport, cela représente davantage d’étapes de transformation et nécessite plus d’énergie fossile», indique Gérard Dutoit, directeur de la scierie Dutoit dans le canton de Vaud.
Une tendance pour le bois importé et de moindre qualité qui s’avère peu écologique et qui vire au cauchemar lorsque des crises d’approvisionnement de matériaux se dessinent. Comme récemment, lorsque l’arrêt total des livraisons de bois d’Allemagne a menacé les chantiers suisses qui ont pu, fort heureusement, se rabattre sur les capacités de sciage locales.
Une épine dans le pied
Mais le mal qui frappe plus durement la filière du bois se nomme le bostryche. Un nom barbare désignant une espèce de petit coléoptère invasif qui s’attaque aux épicéas et aux hêtres, essences les plus utilisées pour les bois de construction en Suisse. «On assiste à la face visible du réchauffement climatique via nos peuplements forestiers. Nos arbres souffrent des fortes chaleurs et des déficits hydriques, le bostryche détecte ces signes de stress et se niche alors dans leur écorce puis se multiplie jusqu’à dessécher son hôte», décrit Matthieu Détraz, responsable de la gestion du patrimoine forestier de la Ville de Lausanne (1700 hectares).
Seul moyen d’éviter une prolifération massive: couper l’arbre et l’écorcer pour en déloger le ravageur. Malheureusement, le mal est alors déjà fait et se constate à la découpe. Contrairement à un épicéa à la couleur uniforme, le bois d’épicéa bostryché arborera une couleur aux reflets bleuets voire tachetés de noir dans certains cas. «Cette coloration n’a aucun impact sur la qualité du bois, elle n’aura pas d’effet sur la statique. C’est seulement l’aspect esthétique qui entre en jeu», souligne Matthieu Détraz. Une différence qui se ressent ensuite dans le prix de vente. Dévalué par son visuel, le bois bostryché perd alors 50% de sa valeur.
Pour ne rien arranger, le bostryche se développe de manière exponentielle dans nos contrées. «Nous sommes légalement forcés d’intervenir sur ces arbres contaminés par ces parasites mais une fois découpé, il faut commercialiser ce produit et le marché est inondé de ce bois sous-évalué. D’autant que nous avons une capacité d’exploitation limitée donc ce surplus d’épicéa bostryché à écorcer et transporter (ce qui augmente les coûts) se fait au détriment du bois frais. Ce sont des pertes énormes pour nous», ajoute le spécialiste de la Ville de Lausanne. Un changement de mentalité serait donc nécessaire, dès maintenant, selon les professionnels de la filière qui comptent à présent sur les ingénieurs bois et architectes pour utiliser davantage cet assortiment de bois bostryché.
En conclusion, même si tout le monde s’accorde à dire que le bois est un des leviers de la construction durable de demain, le flou persiste quant à savoir si le marché est réellement prêt ou non à s’adapter à l’offre locale et ainsi profiter pleinement du potentiel de cette ressource d’avenir.