Rencontre avec Chiara Leone

Comment décrocher l'or olympique

L’unique médaille d’or de la Suisse aux Jeux olympiques 2024 à Paris a été décrochée par une femme. Rencontre avec Chiara Leone, virtuose du tir sportif.

Chiara Leone, virtuose du tir sportif.
Chiara Leone, virtuose du tir sportif. - Copyright (c) Anna Aznaour
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Le luxe, c’est la rareté. On peut donc, sans sourciller, qualifier l’exploit de Chiara Leone de «grand luxe». En effet, la Suisse doit à l’Argovienne sa seule médaille d’or aux JO 2024 à Paris, remportée alors qu’elle n’a que 26 ans. Un cas unique pour le pays dans cette discipline. Cet exploit a eu lieu deux semaines avant l’anniversaire de la première Fédération sportive suisse de tir (FST), née, comme la championne, en Argovie. Pour célébrer ce bicentenaire, Swissmint a frappé une monnaie commémorative en or, dévoilée aux collectionneurs à la mi-août, durant les trois jours de festivités à Aarau. L’enchaînement de ces événements a été tellement fluide qu’on aurait du mal à croire au parfait hasard. Pourtant, si toutes les étoiles étaient effectivement bien alignées, le rodage de cette mécanique du succès, lui, a été un travail de longue haleine.

La pièce commémorative en or frappée pour honorer le bicentenaire de la FST.diaporama
La pièce commémorative en or frappée pour honorer le bicentenaire de la FST.

Inscrire son nom dans l’histoire à 26 ans à peine est vraiment un luxe. Était-ce votre rêve d’enfant?

Ah non, pas du tout ! Petite, je rêvais de devenir skieuse. Mais suivre ces entraînements dans mon canton était plutôt compliqué. Alors, je me suis tournée vers le tir à l’âge de 8 ans, en suivant mon père.

Qu’est-ce qui vous a plu dans ce sport, que beaucoup perçoivent comme violent, alors que vous êtes végétarienne et particulièrement pacifique?

C’est une question de maîtrise de soi et de la technique. Mais aussi de la compétition sans fin, puisque, contrairement aux sports collectifs, par exemple le foot, ici, on se bat contre soi-même. La victoire, comme l’échec, relève donc du mérite personnel exclusivement, puisqu’on en est l’unique responsable. Et aussi, je dois avouer que j’aime beaucoup la compétition sportive.

À part le plaisir de battre ses propres records, qu’est-ce que cela vous a apporté concrètement?

Quand j’étais petite, j’étais beaucoup plus émotive, surtout durant les compétitions. Le tir sportif m’a appris à prendre du recul, à me concentrer et à contrôler mes émotions pour ne rien laisser paraître. D’ailleurs, selon certaines études, les enfants qui pratiquent cette discipline ont de meilleurs résultats à l’école, précisément dus à ces apprentissages comportementaux. Avec mes bonnes notes, j’en suis l’exemple vivant.

Avec ses 464,4 points au tir à la carabine 50 m à trois positions, Chiara Leone a battu un nouveau record olympique à Paris.diaporama
Avec ses 464,4 points au tir à la carabine 50 m à trois positions, Chiara Leone a battu un nouveau record olympique à Paris.

Pourtant, vous n’avez pas continué vos études…

Souvent, le sport de haut niveau est un travail à plein temps. Dans le cas du tir, les exigences physiques et mentales sont tellement élevées qu’elles sont presque incompatibles avec une autre activité cérébrale aussi intense. Or les études demandent un investissement intellectuel très conséquent. Je me suis donc offert le luxe de suivre la voie qui me remplit de bonheur au quotidien.

Est-ce qu’il existe un âge limite pour les athlètes du tir sportif?

Non, pas exactement. Mais, comme dans les autres sports, la fin de leur carrière se situe vers 33-35 ans. Bien entendu, il y a toujours des exceptions. Tout dépend de la résistance individuelle au rythme des entraînements, des compétitions et des voyages, qui ont tendance à user le corps. Sans parler du vieillissement naturel, qui amoindrit les capacités de récupération et le pouvoir de concentration. À cela s’ajoute l’envie de créer, vers la trentaine, sa famille, et de s’y consacrer entièrement.

Vous êtes l’aînée d’une fratrie de quatre. Comment votre choix professionnel a-t-il été accueilli par votre famille?

Au moment de cette annonce, j’avais 22 ans et beaucoup de craintes au sujet de la réaction de mes parents. D’autant plus que j’avais commencé des études en nutrition que j’allais abandonner. C’était une très grande prise de risque, puisque les sommets des podiums restent inaccessibles à la majorité des athlètes de haut niveau. Mais toute ma famille - parents et trois frères - m’a tout de suite soutenue. Un véritable soulagement…

Comment expliquez-vous le fait que le tir sportif soit d’avantage pratiqué par les hommes et que, pourtant, ses plus grands champions olympiques suisses soient des femmes?

Je pense que, dans cette activité, les femmes sont beaucoup plus motivées à faire de leur mieux. Tandis que les hommes, eux, apprécient surtout l’idée d’une activité ludique pratiquée en groupe et leur appartenance à un club. D’ailleurs, dans les compétitions des jeunes de 16 à 20 ans, les performances des filles sont clairement meilleures que celles des garçons. Peut-être aussi en raison de leur maturation physiologique plus rapide, qui se reflète également dans la capacité de concentration. Puis vers 20-25 ans, les hommes les rattrapent. Finalement, lors des sélections nationales, le contingent des meilleures athlètes féminines est plus important que celui de leurs homologues masculins. Un écart qui favorise naturellement le choix de femmes pour des compétitions aussi importantes, tels les Jeux olympiques.

Que peut-on vous souhaiter pour l’avenir?

Avoir la possibilité d’offrir à mon pays une nouvelle médaille d’or aux Jeux olympiques de Los Angeles en 2028.