Bien d'exception

Château Fallot, un écrin pour la musique

Dominant Lausanne, cette vaste propriété abrite un château de style néo-gothique édifié à la toute fin du XIXe siècle par un grand mélomane, Alfred Fallot. Plus de 40 albums ont été enregistrés dans ce temple de la musique à l'acoustique exceptionnelle.

Le château profite d’une situation dominante sur les hauts de Lausanne, surplombant l’entier du bassin lémanique
Le château profite d’une situation dominante sur les hauts de Lausanne, surplombant l’entier du bassin lémanique - Copyright (c) DR
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Quand vous pénétrez dans ce lieu, vous entrez dans une demeure dédiée à la musique. A la toute fin du XIXe siècle, Alfred Fallot, homme d’affaires et grand mélomane, tente de convaincre sa seconde épouse, Mathilde Hepp de venir s’établir en Suisse. Alfred Fallot séjournait souvent en Suisse, pays qu’il appréciait pour les excursions qu’offraient les Alpes. Son petit-fils, le célèbre violoncelliste Guy Fallot (décédé le 25 juillet 2018) a raconté que son grand-père avait tout d’abord jeté son dévolu sur un endroit au bord du lac Léman, du côté de Coppet, mais sa grand-mère s’y était opposée formellement, car le lieu était réputé pour ses moustiques... « Ils cherchent alors à prendre un peu d’élévation et c’est comme cela qu’ils découvrent cette propriété de Rovéréaz, dotée d’une ferme, d’une maison de maître et qui appartient à des Anglais, la famille de Cerjat » (Ndlr. Guy Fallot. Souvenirs en rhapsodie d’un grand violoncelliste. Par Antonin Scherrer. Editions Favre. 2019).

FIEF DES SIRES DE PALÉZIEUX

Bien que le domaine ait vu sa surface se réduire un peu, il bénéficie toujours d'un calme exceptionneldiaporama
Bien que le domaine ait vu sa surface se réduire un peu, il bénéficie toujours d'un calme exceptionnel

Ce domaine aurait tout d’abord appartenu aux sires de Palézieux, qui le confièrent à Henri Ancellin. Au début du XVIe siècle, cette seigneurerie passa dans la famille des nobles de Praroman. Le domaine comprend alors environ 80 hectares. Par le jeu des mariages, Rovéréaz devient la propriété d’un gentilhomme anglais, Parkins Weston, dont l’une des filles va par la suite épouser Charles de Cerjat, lieutenant-colonel au service de l’Angleterre. Leurs descendants, domiciliés en Angleterre, le vendent en 1899 à Alfred Fallot, un Français qui va y faire construire un château au sud-ouest de la propriété en mandatant les architectes Henri Verrey et Alfred Heydel.

Le château date de la fin du XIXe sièclediaporama
Le château date de la fin du XIXe siècle

Pour convaincre sa bien-aimée de s’installer avec lui à Lausanne, il lui fait construire un orgue de salon qui occupe le centre de la maison. Les 780 tuyaux étant installés au premier étage, le plafond du hall a dû être renforcé pour lui permettre de supporter le poids de l’étain. Les soufflets sont répartis un peu partout dans le bâtiment. L’instrument a vu passer des musiciens de grande renommée, de Louis Vierne à Alexandre Denéréaz en passant par Marcel Dupré. Au décès d’Alfred Fallot, en 1936, suivi de celui de son épouse en 1939, Rovéréaz est partagé entre leurs trois enfants : Paul, Pierre et Rachel. Rachel hérite de la ferme et des terrains au nord de la route d’Oron, Pierre reçoit le château où il habitera pendant quarante ans et Paul la « vieille maison », à savoir la maison de maître du début du XIXe siècle. Rachel vend rapidement sa part à ses deux frères. Tandis que Pierre est resté célibataire, Paul a eu quatre enfants. De 1939 à 1976, Pierre a vécu quasiment seul dans le «château», avant que les quatre enfants de Paul en héritent. Cela étant, Pierre ayant été administrateur des usines Peugeot, il a passé la plus grande partie des années d’occupation à Sochaux où ses tympans n’ont pas résisté aux explosions, provoquant une surdité incompatible avec une activité musicale.

LE VIOLONCELLISTE GUY S’Y INSTALLE

Au premier étage, on trouve de nombreuses chambres aménagées pour accueillir des musiciensdiaporama
Au premier étage, on trouve de nombreuses chambres aménagées pour accueillir des musiciens

Parmi les enfants de Paul Fallot (décédé en 1960), Guy, violoncelliste de renommée internationale, est le seul à être venu s’établir à Rovéréaz. L’hoirie a cédé une partie du domaine (49,5 hectares, dont 18,4 de forêts), dont la maison de maître et la ferme, à la Municipalité de Lausanne en 1988. Sous la houlette de Guy et de son épouse Marine, le château va retrouver son lustre initial en matière musicale. Nommé professeur au Conservatoire de Lausanne en 1966, celui-ci avait quitté Paris où il résidait et s’était installé à Epalinges avec femme et enfants, Patrice, Benoît et Pascale. Lorsqu’ils emménagent à Rovéréaz, ils commencent par rafraîchir le premier étage et rénovent la cuisine. Le cœur du château reste la grande salle, qui le traverse de part en part. Elle se transforme régulièrement en salle de concert, qui peut réunir une cinquantaine de personnes et qui bénéficie d’une acoustique exceptionnelle. Le sol est revêtu de carrelage en mosaïque avec une bordure à motifs géométriques de chevrons et de trilobes orthogonaux. La cheminée est l’élément principal de cette pièce. En pierre de taille sculptée, cette dernière fait référence aux cheminées monumentales que l’on rencontre dans les châteaux médiévaux.

Au fond de la salle, un mystérieux piano est protégé par une housse, un Becker acheté en 1900 à l’Exposition universelle de Paris. Sergueï Rachmaninov y a travaillé sa Sonate pour violoncelle avec Anatoli Brandoukov. La maison a accueilli Clara Haskil, Dinu Lipatti, Edwin Fischer, Jacques Thibault ou encore Karl Flesch. « Cette maison n’a jamais été un lieu de rencontres mondaines. Elle était, et reste, uniquement consacrée à la musique », nous confie Benoît Fallot, un des fils de Guy. Le « château Fallot » était devenu un studio d’enregistrement. Mais seul la prise de son y était effectuée. Jusqu’à ce jour, une quarantaine d’albums y ont été réalisés.

FORGE AU SOUS-SOL

Au centre de la grande salle se dresse une impressionnante cheminée en pierre de taille sculptéediaporama
Au centre de la grande salle se dresse une impressionnante cheminée en pierre de taille sculptée

Le bureau se situe au nord-ouest et abrite une cheminée de marbre noir. La porte entre le bureau et le vestibule et celle entre ce dernier et le hall principal possèdent des serrures à la garniture inspirée de modèles médiévaux. Selon la tradition familiale, Alfred Fallot et son beau-frère Armand Peugeot les auraient réalisés dans la forge se trouvant au sous-sol, en même temps que d’autres éléments originaux en fer forgé. La forge-atelier est toujours équipée de machines entraînées par un système de poulies et de courroies activé par une turbine estampillée « Machines R.Thury, Cie de l’industrie électrique Genève ». A ce propos, relevons que René Thury (1860-1938) avait démarré sa carrière d’ingénieur à la SIP (fondée par son père) puis poursuivra sa carrière à la Compagnie de l’industrie électrique, rebaptisée en 1918 Société anonyme des ateliers de Sécheron. Il est à l’origine de 25 brevets touchant à la production et à la transformation de l’électricité.

Un des pianos qui a vu jouer des célèbres musiciens de passagediaporama
Un des pianos qui a vu jouer des célèbres musiciens de passage

Aujourd’hui, l’hoirie propriétaire se réjouirait que la destinée de ce lieu perpétue sa vocation depuis plus d’un siècle, celle de la culture musicale au sens large... Dans ce cas, les propriétaires seraient tout à fait ouverts à une négociation préférentielle quant à son acquisition. Etant entendu que bien d’autres solutions sont possibles pour l’avenir du château. Il n’en demeure pas moins qu’outre son histoire musicale, cette demeure reste exceptionnelle par son style néo-gothique. Elle fait penser au Château d’Ouchy réalisé entre 1888 et 1893 par l’architecte Francis Isoz. « Postérieur d’une dizaine d’années, le Château Fallot présente une apparence plus pittoresque, surtout sensible dans son plan et sa volumétrie (...). Il s’apparente aux villas suburbaines et balnéaires édifiées dans des parcs paysagers dès le Second Empire, par exemple la cité Dubochet à Clarens », comme le résume l’historienne de l’art Joëlle Neuenschwander Feihl dans une étude rédigée fin 2021. Et de conclure : « L’édifice n’a fait l’objet d’aucune transformation majeure et a été entretenu avec soin, dans le respect de sa substance originale et de son histoire. Œuvre d’art totale, le Château Fallot constitue une demeure d’exception et un important témoin d’un certain art de vivre de la bourgeoisie cultivée au tournant du XXe siècle ».

Renseignements: Kris Alaerts, Naef Prestige Knight Frank