Architecture

Bernard Tschumi, la passion de la déconstruction

Chaque mois, immobilier.ch vous propose le portrait d'un architecte suisse qui s’exporte à l’étranger. Après une courte carrière de théoricien, Bernard Tschumi, l’initiateur du déconstructivisme, mouvement architectural avant-gardiste, a imposé sa vision de la profession sur des projets d’envergure aux quatre coins du monde.

Le siège social et le centre de fabrication de Vacheron Constantin, conçus et construits par Bernard Tschumi Architects (2001-2005).
Le siège social et le centre de fabrication de Vacheron Constantin, conçus et construits par Bernard Tschumi Architects (2001-2005).
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Tout au long de sa vie, Bernard Tschumi n’aura rien fait comme les autres. Né à Lausanne en 1944, fils de l’architecte moderniste célèbre dans le Pays de Vaud, Jean Tschumi, le jeune Bernard aura eu beau passer tous ses dimanches après-midi sur des chantiers, il préfèrera étudiant se tourner vers la littérature et la philosophie. Après des études à Paris dans le domaine, il n’échappe finalement pas à sa filiation et revient d’un voyage à Chicago à l’âge de 18 ans, certain de vouloir devenir architecte.

Bernard Tschumi, l’initiateur du déconstructivisme.diaporama
Bernard Tschumi, l’initiateur du déconstructivisme.

De la théorie avant tout

Mais là encore, Bernard Tschumi ne se voudra pas un architecte comme les autres. Sa démarche sera plus abstraite dans un premier temps. Diplômé de l’École Polytechnique de Zurich en 1969, il enseigne à Londres et à Princeton entre autres, il écrit des essais théoriques reconnus tels que « The Manhattan Transcripts » et va jusqu’à créer un mouvement architectural : le déconstructivisme. Derrière ce terme barbare, un concept simple puisque selon Bernard Tschumi il n’y a pas d’architecture sans événement, sans action, ni activités qui modifient et étendent de manière créative les structures qui les contiennent.

Autrement dit, l’architecture n’est pas seulement une question d’espaces et de formes mais est aussi composée par les évènements qui se produisent à l’intérieur. Très loin des représentations architecturales conventionnelles de l’époque, le Lausannois concentre alors son travail sur une conception de l’architecture provenant d’idées et de concepts avant de devenir forme. Il répètera à qui veut l’entendre : « J’aimerais que les gens en général, et pas uniquement les architectes, comprennent que l’architecture n’est pas seulement ce à quoi elle ressemble mais aussi ce qu’il s’y passe. » A ce titre, il fait souvent référence dans ses travaux à d’autres disciplines de performance telles que la littérature, le cinéma, l’art et la philosophie, remettant en question les fondements de la profession tout en revenant à ses premiers amours de jeunesse.

Le passage à l'acte

Jusque-là principalement consacré à la réflexion, Bernard Tschumi fait le grand saut en se remettant à dessiner dans le cadre d’un concours parisien d’envergure en 1983. Tournant majeur de sa carrière, il remporte ce fameux concours international, celui du Parc de la Villette, et marque le point de départ de son passage à la pratique. Projet de cinquante hectares, la conception éclectique de ce parc culturel basé sur l’activité plutôt que la nature, dont les nombreux bâtiments et jardins serviront de sites de concerts et d’expositions, est une réussite. L’exemple parfait de la déconstruction dans l’architecture selon Bernard Tschumi. Véritable succès populaire, sa réalisation attire aujourd’hui encore des millions de visiteurs par année, devenu un quartier en soi, et ce, bien qu’il eût été le projet le plus difficile à réaliser de sa longue carrière. « C’était mon premier et je ne savais absolument rien des codes du bâtiment, des phases de construction, du rôle des consultants, etc. J’ai du tout apprendre en un laps de temps incroyablement court », témoignait l’architecte en 2015.

En projet de Paris à New-York

Des suites de cette prouesse avec sa première agence à Paris, Bernard Tschumi s’établit ensuite à New-York et devient incontournable sur la plupart des grands projets mondiaux. Parmi les plus récents, le précurseur lausannois compte à son palmarès le nouveau musée de l’Acropole à Athènes, la Tour Blue à New-York ou encore l’Exploratium, musée de l’Industrie et de la ville à Tianjin, en Chine, ouvert au public en 2019. Loin de se cantonner à la conception d’oeuvres originales, l’architecte s’attèle également à exposer. Le musée d’Art Moderne (MoMa) de New-York, le Centre Pompidou à Paris, la Power Station of Art de Shanghai et le Musée d’Architecture de Bâle lui feront notamment honneur.

L'architecture du campus du Rosey, un pensionnat international à Rolle, en Suisse...diaporama
L'architecture du campus du Rosey, un pensionnat international à Rolle, en Suisse...

Des petites installations aux plans directeurs de grande échelle, Bernard Tschumi épaulé par ses agences est présent en personne sur tous les fronts mais n’oublie pas pour autant ses origines. Appelé pour réaliser le siège de Vacheron Constantin à Genève en 2005, il s’est également surpassé en concevant une salle philharmonique en forme de soucoupe pour Le Rosey (VD).

Tout autant admiré que critiqué en Suisse romande, Bernard Tschumi est néanmoins connu de tous. Lui-même se disait, il y a quelques années, tiraillé par ses ébauches réalisées au pays : « Dans ma pratique, j’ai parfois éprouvé des déceptions, par exemple avec mon projet pour le Flon, non réalisé à cause de l’absence de vision du propriétaire. Mais j’ai aussi connu l’inverse, ce qui m’a permis de construire le bâtiment de l’ECAL à Renens. » En cours actuellement sous l’égide de l’architecte, un second édifice à côté de celui du Rosey viendra compléter sa première réalisation à la rentrée 2024.

...se compose d'une douzaine de bâtiments au caractère majestueux.diaporama
...se compose d'une douzaine de bâtiments au caractère majestueux.

La fin de l'ère Tschumi ?

Désormais proche de la retraite, il n’est pourtant pas prêt à délaissé son métier, sa passion, tout comme il a toujours mis un point d’honneur à diriger chacun de ses mandats afin de garder « ce rapport direct avec le bâtiment ». Il décrit sa méthode de travail : « J’aimerais pouvoir dire que le processus de travail est différent à chaque fois. C’est presque vrai mais en réalité, je commence généralement de manière très objective et analytique, en étudiant toutes les contraintes jusqu’à que je sache clairement à quoi je suis confronté. » Il n’aura par exemple jamais cessé de participer à des concours d’architecture, permettant selon lui d’approfondir sa technique et de se confronter aux idées d’autrui. Ayant récemment annoncé la cession des parts de son agence parisienne en faveur du Groupe-6, signe annonciateur d’un ralentissement de ses activités, il conserve toutefois activement sa casquette d’enseignant et de conférencier. Un retour à la théorie qui boucle la boucle en beauté pour cet homme au parcours et à la vision d’architecte indéniablement atypiques.