Ballenberg: l’âme de la Suisse rurale préservée
Chaque mois, nous explorons les trésors de l’architecture suisse. Ce numéro nous emmène dans l’Oberland bernois, où une centaine de bâtiments historiques peuvent être visités au Ballenberg, le seul Musée en plein air de Suisse.
En Suisse, depuis les années 1970, on ne démolit plus les anciennes fermes, écuries, granges, scieries ou greniers à blé lorsqu’ils doivent faire place à des constructions modernes. On les démonte soigneusement, pierre par pierre, avant de les reconstruire au Musée suisse en plein air Ballenberg. L’objectif? «Collectionner, promouvoir, préserver et pérenniser l’architecture rurale traditionnelle de toutes les régions de Suisse», indique la fondation privée Ballenberg. L’aventure commence en 1978 avec seize maisons typiques du paysage suisse. Près d’un demi-siècle plus tard, le musée s’étend sur un terrain de 66 hectares et comprend treize grands sites, illustrant la richesse et la variété de l’architecture des vingt-six cantons.
Plus d’une centaine d’habitations et bâtisses historiques y sont savamment restaurées. La plus ancienne date de 1336. Chaque bâtiment est accompagné d’une fiche signalétique détaillant son implantation, son histoire, qui en furent les constructeurs et les utilisateurs connus, ainsi que l’activité économique à laquelle il était destiné. Les fiches expliquent également comment le bâtiment est arrivé au musée, et ce qui a été conservé, éliminé ou reconstitué.
Une maison vigneronne
Sur le site du Plateau oriental, les visiteurs peuvent admirer la Maison Vigneronne de Richterswil. Construite vers 1780, elle est l’un des bâtiments caractéristiques du paysage zurichois. «La façade constitue un beau témoin de l’évolution de la construction en pan de bois au XVIIIe siècle, détaille la fondation. Depuis le bas Moyen Âge, ce style de construction s’est imposé face à d’autres techniques, donnant aux XVIIIe et XIXe siècles un aspect typique à de nombreuses localités. Il a supplanté en particulier les constructions à poteaux et madriers.» Dans les maisons à colombage (ndlr: charpente apparente en bois), les décharges obliques contribuent à la stabilité de la construction. Mais dans la maison de Richterswil, elles remplissent bien plus qu’une simple fonction sécuritaire. «Peintes, disposées en figures géométriques, elles sont conçues comme des éléments décoratifs. Elles sont même plus nombreuses que ce qui est techniquement nécessaire.»
La Maison Vigneronne de Richterswil fut habitée en alternance par une, deux ou même trois familles d’artisans, pour qui la culture de la vigne était une activité secondaire. L’intérieur mérite une visite, tant il offre une véritable immersion dans la vie des habitants du XVIIIe siècle. Un escalier raide mène au deuxième étage, où l’on trouve un fumoir adossé à la cheminée. Ce petit réduit servait à suspendre le lard et les saucisses pour les faire sécher. La fumée rendait la viande savoureuse et permettait de la conserver. Un treuil permettait de hisser les fagots secs au grenier, qui servaient de combustible pour le poêle en faïence durant l’hiver.
Un astucieux trompe-l'oeil
Autre maison étonnante: celle du riche officier Bendicht Gosteli, située sur le Plateau bernois. Construite en 1797, son jardin s’inspire des jardins à la française. «Tout l’aménagement, y compris la clôture, a été soigneusement déplacé d’Ostermundigen au Ballenberg et s’accorde parfaitement à l’esprit majestueux de la demeure.» De loin, cette maison paysanne en bois - peinte en gris du sol au faîte (la ligne de rencontre haute de deux versants d’une toiture) - ressemble à un noble bâtiment en pierre. Les peintures sur le pignon ajoutent à cette illusion, avec des fenêtres ovales et rectangulaires tracées au pinceau. La façade, finement ouvragée, reflète l’esprit de l’époque où l’apparence de faste primait. Peu importait que de nombreux éléments ne soient pas réalistes. L’essentiel était l’impression de grandeur. D’ailleurs, bon nombre de ces formes n’auraient pas pu être réalisées en pierre.
Bien que spectaculaire avec ses larges avant-toits et l’élégant arrondi de l’arc de pignon en berceau, cette maison cossue semble avoir été conçue davantage pour éblouir que pour simplifier la vie quotidienne. La disposition des trois pièces d’habitation au rez-de-chaussée est loin d’être pratique, et au niveau supérieur, les chambres en enfilade révèlent l’importance accordée au paraître en cette fin du XVIIIe siècle. Une distinction nette était par ailleurs faite entre les espaces privés et de réception. Les domestiques ne pouvaient pénétrer dans certaines pièces que sur l’autorisation expresse du maître de maison. Ce lieu n’était pas seulement une résidence. Il était aussi et surtout une scène où se jouait la hiérarchie sociale, une vitrine de l’opulence et de l’ordre rigide de son temps.
En quittant Ballenberg, l’image simpliste du «chalet suisse» qui vient souvent à l’esprit lorsque l’on pense à l’architecture de nos régions s’évanouit. Raccards et moulins valaisans, immense toit de chaume et murs en torchis (mélange de terre et de paille) argoviens, séchoir à châtaignes de Linescio (Tessin) avec son toit en pierre plate (gneiss), grenier à fromage de Château-d’OEx en bois de sapin, boutique de droguiste apothicaire de Berthoud (Berne) avec ses murs en pierre et son toit en tuiles: notre pays révèle sa richesse bien au-delà de l’image d’Épinal du chalet d’alpage. Un détail qui enchantera les enfants: quelque 250 animaux «de collection» peuplent les prés, les poulaillers et divers enclos, ajoutant une touche vivante et authentique avec leurs bruits et leurs odeurs caractéristiques. En plus, des démonstrations artisanales captivantes comme la cuisson du pain, la fabrication de bardeaux, la sellerie ou encore le tissage sont régulièrement proposées tout l’été, permettant aux visiteurs de plonger dans le savoir-faire traditionnel suisse.