Architecture

Autisme: repenser autrement les espaces

Dans l’acte de construire, il est aujourd’hui établi pour les professionnels, de prendre en compte les besoins spécifiques des personnes à mobilité réduite (ce qui inclut les personnes âgées et handicapées). Il s’agit même d’une disposition inscrite dans la loi et concrétisée par la norme SIA 500 Construction sans obstacles. Mais ne pourrait-on pas aller encore plus loin, en «pensant» l’architecture pour les personnes atteintes de troubles du spectre autistique qui représentent tout de même un individu sur cent?

Le projet Neavita - La Châtaigneraie à Saint-Gingolph prévoit quatre immeubles de 60 logements
Le projet Neavita - La Châtaigneraie à Saint-Gingolph prévoit quatre immeubles de 60 logements - Copyright (c) Zanetti Design Architectura
diaporama

Ce questionnement, Didier Castelli, architecte EPFL et directeur de la filiale architecture du groupe immobilier Swissroc, l’a eu il y a plusieurs années déjà. C’est par Line Sorgius, logopédiste spécialisée dans les troubles du spectre autistique (TSA), qu’il a été amené à s’intéresser et à réfléchir à «une architecture inclusive» permettant d’adapter l’habitat (et les autres lieux) à ce type d’handicap; les personnes autistes étant particulièrement sensibles à leur environnement. Lorsque Line Sorgius a ouvert à la Tour-de-Peilz «La Chenille bleue», un jardin d’enfants inclusif pour l’accueil des tout-petits dont une moitié est atteinte de troubles du spectre autistique, ses conseils ont été précieux: «Il s’agissait de transformer les locaux déjà existants. Il a été notre référent, nous donnant notamment des indications en termes de faisabilité et de coûts», indique la spécialiste. Avant d’ajouter: «Il a fallu structurer les espaces en les différenciant bien: un endroit pour jouer, un autre pour goûter etc, ainsi l’inclusion est favorisée avec des messages clairs. Puis, adapter l’environnement avec un choix réfléchi des couleurs, des matériaux, des éclairages... car la composante sensorielle prend une grande part dans la symptomatologie autistique. Le bruit ou la lumière, autres exemples, peuvent générer du stress, et rendre de facto l’enfant moins disponible aux apprentissages».

«Nous demandons beaucoup en termes d’adaptabilité aux personnes autistes, mais pourquoi, nous ne nous adapterions pas davantage à eux?», est la question que posent en substance Line Sorgius et Didier Castelli. «L’inclusion prônée à l’école et jusqu’à l’entrée dans le monde du travail doit être une réalité dans tous les domaines de la vie, y compris dans l’habitat», postule l’architecte. Pour ce faire, il est judicieux d’intégrer, dès la conception architecturale, ces spécificités. Mais comment procéder pour proposer des logements adaptés à des personnes TSA, sachant que chacune, comme tout individu, présente un profil différent? Un modèle de base, adaptable, pourrait-il être conçu?

Logements intergénérationnels et inclusifs

Les architectes sont attentifs au choix des matériaux en fonction de leur texture, des teintes, à l'orientation des pièces par rapport à l'ensoleillement, l'éclairage ou l'acoustiquediaporama
Les architectes sont attentifs au choix des matériaux en fonction de leur texture, des teintes, à l'orientation des pièces par rapport à l'ensoleillement, l'éclairage ou l'acoustique

Les réflexions de Didier Castelli ont rejoint celles de Stéphane Cohen qui dirige le concept de la marque Neavita et développe des projets de logements intergénérationnels, locatifs et à l’accession à la propriété. Entre l’habitation classique et l’EMS, se situent ces résidences qui répondent aux besoins inhérents au vieillissement de la population et au désir de celle-ci de conserver le plus longtemps possible son indépendance. «Le logement protégé est conçu pour permettre le maintien à domicile des personnes âgées et handicapées en leur offrant des prestations médico-sociales. Nos projets, qui offrent un socle de services médicalisés ou non, selon les sites et les besoins, sont conçus selon le cahier des charges édicté par le canton de Vaud, qui est le plus restrictif et dirigiste de la Suisse romande. Tels que définis au niveau cantonal, il s’agit de «logements pour seniors avec services», souligne Stéphane Cohen. Construits dans le respect de la norme SIA 500 Construction sans obstacles, ce type d’habitat se veut accessible et utilisable par tous pour promouvoir la mixité d’âge avec en corollaire, l’entraide intergénérationnelle et le maintien du lien social.

Le premier du genre est «Neavita – La Châtaigneraie» à Saint-Gingolph: soit quatre immeubles de 60 logements aux- quels s’ajoutent une garderie, des cabinets médicaux, un restaurant... ainsi que des lieux de socialisation tant à l’intérieur de la résidence qu’à l’extérieur. «Neavita – La Châtaigneraie» s’adresse également aux familles ayant des enfants présentant des troubles du spectre autistique ou aux adultes TSA.

Le bruit ou la lumière peuvent générer du stress

«Il y a des points de convergence entre les seniors et les autistes, déclare à son tour Didier Castelli. Ces derniers ont, par exemple, les mêmes problèmes d’orientation que les personnes souffrant de la maladie d’Alzheimer». Une réflexion a ainsi été engagée sur les cheminements: comment arrive-t-on aux appartements? Il ne s’agissait pas de créer des méandres. Dans le même ordre d’idée: comment aménager les espaces intérieurs de façon à ce qu’il soit aisé de s’y mouvoir? «On ne créera pas une cuisine avec un îlot central, illustre D. Castelli. Nous sommes également attentifs au choix des matériaux en fonction de leur texture, des teintes, à l’orientation des pièces par rapport à l’ensoleillement, à l’éclairage ou à l’acoustique».

«Il n’existe pas de catalogue de solutions, conclut l’architecte. Tout reste encore expérimental dans le domaine et dépend aussi de paramètres tels que le coût, la politique communale... mais l’expérience acquise dans chaque projet profitera au suivant!».