Jean Claude Gandur

Au service de l'héritage culturel

L’homme d’affaire suisse et grand collectionneur partage sa passion pour l’art et sa vision pour un musée novateur à Caen dont l’inauguration est prévue à l’horizon 2030.

Jean Claude Gandur, entrepreneur, philanthrope et grand collectionneur d'art
Jean Claude Gandur, entrepreneur, philanthrope et grand collectionneur d'art - Copyright (c) ©G.Maillot/point-of-views.ch
diaporama

Jean Claude Gandur est un entrepreneur, philanthrope et un grand collectionneur d'art né à Grasse en 1949 d'un père italien et d'une mère russe. À l'âge de 12 ans, il s'installe en Suisse avec ses parents après avoir vécu en Égypte, où sa famille paternelle résidait depuis plus de 100 ans. Arrivé en 1961, il obtient la nationalité suisse cinq ans plus tard. « La Suisse est mon pays : j'y ai grandi, fait l'armée, et même été conseiller municipal à Tannay. Cela crée des liens indéfectibles avec ce pays qui m'a accueilli », déclare-t-il. Aujourd'hui, le cofondateur d'Addax Petroleum (revendu en 2009) emploie encore plus de 2'000 personnes au sein de la société faîtière AOG.

Collectionneur parmi les plus influents, il a créé il y a 15 ans la Fondation Gandur pour l’Art, à travers laquelle il prête chaque année des œuvres aux plus grands musées et institutions culturelles d’Europe et des États-Unis. Après plusieurs années de réflexion, il annonce en 2024 l'ouverture de son musée à Caen à l’horizon 2030. Par ailleurs, la Fondation Gandur pour l’Art a confié la mission de programmation et d’assistance à la maîtrise d’ouvrage à AP'CULTURE.

En 2016, les Genevois refusaient la rénovation du Musée d'art et d'histoire dans lequel vous deviez exposer une partie de votre collection d'objets archéologiques et de peintures. Avez-vous digéré ce vote populaire?

fga acad delun 0001_hd_mbr_1diaporama
fga acad delun 0001_hd_mbr_1

Je n’ai pas le temps d’avoir des regrets, ce n’est pas dans mon caractère. Je regarde toujours vers l’avenir et ne m’attarde pas sur le passé. Peut-être que c’était pour le mieux, ça ne devait pas se faire. La vie continue. Et il faut surtout comprendre que je ne suis pas fâché avec Genève.

Avez-vous l’impression que les Suisses se méfient des mécènes ?

Il ne faut pas tout confondre. Le vote n’était pas contre moi. J’étais simplement une conséquence indirecte du refus de l’extension et de la rénovation du musée, selon le projet de Jean Nouvel.

Vous avez annoncé l’an dernier avoir trouvé un autre endroit pour exposer vos collections, à Caen ?

J’ai eu beaucoup de propositions en France, notamment deux très bonnes à Strasbourg et à Bordeaux, mais j’ai choisi Caen car l’accueil de la population a été fantastique. Par ailleurs, la ville m’a mis à disposition gratuitement un terrain de plus de 50’000 m2. C’est une très belle région où passent de nombreux touristes, notamment parce que c’est le lieu du débarquement. Caen présente également de très nombreux avantages, notamment au niveau de sa politique culturelle.

Pour quand est prévue l’inauguration du musée ?

Il reste encore beaucoup à faire, notamment trois ans d’études avant de poser la première pierre, puis trois ans pour construire le musée. Nous prévoyons son inauguration à l’horizon 2030.

Comment redonner envie, notamment aux jeunes, de fréquenter des musées ?

fga ba hanta 0004_16bites_rvb_spdiaporama
fga ba hanta 0004_16bites_rvb_sp

Ce futur musée doit être différent du modèle traditionnel. Il faut travailler avec les collections de manière interactive. Les jeunes doivent pouvoir utiliser des outils comme la 3D, l’intelligence artificielle, l’immersion, ou encore créer des décors imaginaires grâce à une scénographie dynamique. Le musée tiendra compte de toutes les évolutions sociétales.

Revenons un peu sur votre passé. Qu’est ce qui a éveillé votre passion pour l’art ? Comment avez-vous commencé votre collection ?

Je ne me suis jamais dit que je voulais créer une collection. Je voulais simplement être entouré de belles choses, c’est très différent. On se rend compte qu’on a une collection lorsqu’on a accumulé beaucoup de belles pièces. J’ai commencé très jeune, vers 13 ans, car l’art était la seule chose qui m’intéressait. J’achetais des petites amulettes et autres beaux objets remarquables. Le mur de ma chambre était tapissé de photos des tableaux les plus célèbres au monde.

Vos parents vous emmenaient dans des musées lorsque vous étiez enfant ?

Pas vraiment mais nous parlions beaucoup d’art au sens large à la maison. Mes parents étaient cultivés mais n’ont jamais été collectionneurs.

Qu’est ce qui guide votre choix de collectionneur ? L’esthétique, l’histoire, un coup de cœur ?

Dans mes collections, je m’intéresse surtout à l’histoire de l’objet. Certains ont appartenu à des grands écrivains comme Pierre Loti et Émile Zola. Et même à la famille Borghèse. Avec ma fondation, les priorités sont la sauvegarde du patrimoine, où qu’il soit, et l’éducation.

Où stockez-vous vos objets ? Et quels sont les plus grands défis liés à leur conservation ?

fga ba saint 0004_16bits_rvb_am_1_1diaporama
fga ba saint 0004_16bits_rvb_am_1_1

Mes objets sont entreposés à Genève et en France. La Fondation Gandur pour l’Art a pour mission de préserver ces œuvres, de les présenter et de les prêter. Nous fonctionnons comme un musée. Nous organisons au moins une exposition par an. En 2025, nous fêtons les 15 ans de la Fondation avec plusieurs rendez-vous sur l’agenda. Nous avons participé à Art Genève en janvier. Début avril, nous présenterons une exposition sur les dieux de l’Antiquité au Château de Normandie dans le cadre du Millénaire de Caen. Nous inaugurerons au même moment une exposition à la Fondation Boghossian à Bruxelles, où nous présenterons pour la première fois deux collections ensemble : l’archéologie et l’art contemporain africain et de la diaspora.

Avez-vous eu des problèmes avec certains objets qui auraient pu être volés à des pays comme l’Égypte ?

Un seul, que j’ai restitué. Je l’avais acheté avec un pedigree qui avait été falsifié. Lorsque nous avons réalisé qu’il avait été volé, j’ai déposé une plainte pénale contre le voleur et j’ai rendu spontanément l’objet à l’Égypte. Tous mes objets sont publiés sur Internet, donc si un pays a une réclamation, il peut la faire.

Est-ce que vous vous êtes déjà intéressé aux NFT ?

Oui, je suis curieux et passionné, et m’intéresse aux nouvelles tendances. L’art contemporain que je collectionne est davantage tourné sur la création africaine et de la diaspora, et je n’ai pour le moment pas fait d’acquisitions sous forme de NFT. Mais la création évolue et je reste ouvert. Pour autant, je souhaite pouvoir garantir la préservation de mes œuvres dans le temps et cette question reste complexe dans le domaine du numérique.

L’art devrait-il jouer un rôle plus important comme lien social ?

La culture, dans sa globalité, est apaisante. Elle crée des liens. On admire les objets de toutes les civilisations du monde. Lorsque l’on découvre la beauté de ce qui se fait ailleurs, cela attise notre curiosité et nous ouvre à de nouveaux horizons. On devrait tous apprendre la culture de l’autre. Les musées ne devraient pas être élitistes. Ils devraient servir à instruire.

Quand envisagez-vous de ralentir ?

Pas tout de suite, mais c’est vrai que je suis très sollicité. Je reçois un très grand nombre de courriels chaque jour : des propositions de tableaux, des demandes de collaboration. Je passe une grande partie de ma journée à répondre à ces sollicitations.

Qui vous succédera au sein de la Fondation et de votre entreprise ?

Il ne faut rien laisser au hasard. Les successions doivent être préparées très en amont. En ce qui concerne l'entreprise, c'est déjà fait : je ne m'occupe plus que du conseil d'administration, je n'ai plus de rôle exécutif. La société ne m'appartient plus depuis plusieurs années, elle est détenue par un trust. Quant à la Fondation, elle est d'utilité publique et a pour mission de gérer la collection.

Vous avez vécu jusqu’à 12 ans en Égypte. Quels sont vos liens avec ce pays aujourd’hui ?

Je m'y rends régulièrement car je soutiens deux missions importantes. La première se trouve à Saqqarah, au sud du Caire, en partenariat avec la France et l'Université de Genève. Nous y soutenons des fouilles archéologiques majeures qui ont conduit à des découvertes fascinantes. La seconde mission concerne une archéologue travaillant sur le règne d'Amenhotep III, derrière les colosses de Memnon.

Qu’aimeriez-vous que les gens retiennent de vous dans le futur ?

Que j’ai été un homme de partage. Que je me suis toujours engagé pour l’art et la culture, pour la préservation et la diffusion du patrimoine culturel.

Quelques chiffres

1949 Naissance de Jean Claude Gandur à Grasse

2001 Première exposition de sa collection au MAH

2010 Création de la Fondation Gandur pour l’Art à Genève

2024 La Fondation Gandur pour l’Art choisit Caen pour son musée

16 projets culturels en 2023 (mécénat)

200 œuvres prêtées à des institutions tierces en 2023