Architecture bioclimatique: de quoi parle-t-on?
Vivre dans une maison bioclimatique à 650’000 francs, c’est possible dans le canton de Neuchâtel. Le projet d’écoquartier Charmes, à La Côte-aux-Fées, propose de revenir à l’essentiel.
L’idée est partie d’une boutade: personne ne veut aller vivre à La Côte-aux-Fées, village de moins de 500 âmes du Val-de-Travers. Elle a interpellé Philippe Lehmann, géomètre- topographe qui construit des villas individuelles depuis 20 ans en Suisse romande. «Ce sont des terrains communaux magnifiques avec une exposition plein sud, au-dessus du village, à côté de la forêt avec une vue sur le Chasseron. On s’y sent immédiatement bien. On vient ici pour ralentir, chercher un autre style de vie, dans la nature, en famille, car il y a une école et une offre sportive à proximité», lance celui qui prône l’écoconception de l’habitat et le respect de l’environnement dans lequel on s’implante.
Prémices de l’écologie
Le fondateur de Lehmann Eco-Constructions sait de quoi il parle puisqu’il a construit dans des milieux extrêmement différents, à l’échelle internationale. Ses expériences lui ont ouvert les yeux sur certaines pratiques et matériaux. Après des postes en Angola pour la construction et la surveillance qualité de bâtiments pour le ministère de l’agriculture, il a travaillé en Belgique dans une cimenterie, puis en France pour le rail et les autoroutes. Il est ensuite arrivé à Genève dans les années 1990, chez Firmenich, pour y construire une station d’épuration. «L’idée était d’arrêter de polluer le Rhône, glisse-t-il. On commençait à parler d’écologie dans les entreprises. Parallèlement, les maisons individuelles se démocratisaient.» Après Genève, il se lance avec un associé canadien dans l’implantation des premières maisons écologiques en bois préfabriqué dans le Jura français. Ce petit-fils de Chaux-de-Fonnier réalise rapidement que les standards européens et américains ne sont pas les mêmes. Les coûts étaient contrôlés mais la qualité ne suivait pas et les habitations se révélaient peu durables.
Influence nordique
Le Franco-suisse part alors en Allemagne et rencontre l’architecte renommé Harry Kaibach qui devient son mentor et lui apprend tout sur les maisons écologiques en bois. «L’influence des pays scandinaves était partout, j’ai appris l’origine des bois et les techniques d’écoconception, notamment avec les compagnons charpentiers. On a beaucoup construit du côté du Lac de Constance, des villas superbes avec de grandes vitres et des poutres en bois» explique l’autodidacte. Le globe-trotter revient en Suisse et crée sa société à Chavornay en 2002. Au début, banques et architectes le regardent de haut. Le développement des maisons Minergie permet à son activité de décoller. On parle de maison passive et d’architecture bioclimatique. Son expertise? Il allie la construction ossature bois avec isolation en laine de bois et le «poteau-poutre» avec de larges fenêtres captant le soleil pour les faces exposées au sud.
«Tout était préfabriqué, permettant un contrôle de chaque pièce. La dalle était coulée le lundi et le vendredi, on avait la maison. Cela permet de maîtriser les coûts, les déplacements et la gestion des déchets. Mes fournisseurs étaient principalement allemands. Aujourd’hui, c’est plus varié, ça va de la Slovénie à l’Italie. Pour le projet de La Côte-aux-Fées, je suis en négociation avec un charpentier de la région. Les maisons seraient ainsi construites localement», se réjouit-il. Le bois vient du Jura, les matériaux sont biosourcés et les peintures écologiques, à l’eau ou à la chaux, à moins que le client souhaite autre chose.
Simplicité et récupération des eaux
Outre l’attention mise sur le bois et les matériaux, l’architecture bioclimatique implique bien d’autres paramètres que Philippe Lehmann applique depuis des années, par bon sens. «C’est un retour à une simplification, une logique qu’on a perdue. On travaille avec les éléments à disposition. La topographie en fait partie. On oriente donc sa maison pour qu’elle chauffe avec le soleil, on l’isole bien et on utilise du triple vitrage pour les fenêtres. Les villas seront reliées au réseau de chauffage à distance, mais comme appoint», précise l’entrepreneur.
Outre l’économie d’énergie, ce modèle repense le tout. «On réduit l’inutile: moins de robinets, moins de salles de bain, une surface adaptée à ce dont on a vraiment besoin pour deux adultes et deux enfants. Offrir un habitat écologique à un prix accessible à toutes les catégories sociales ou presque fait également partie de notre démarche.» Des panneaux solaires, mais pas de système de ventilation énergivore en raison de la situation géographique du projet, complètent le décor. Un jardin potager communautaire est prévu pour créer le lien entre les dix villas individuelles.
Une attention particulière est portée sur l’utilisation de l’eau. Une citerne d’eau de pluie enterrée de 3000 litres est prévue pour l’arrosage du jardin, les WC et le lave-linge. «On peut aller plus loin en réutilisant l’eau grise de la douche, par exemple ou en installant des toilettes sèches. Ça n’a pas été notre choix, car la majorité des personnes ne sont pas encore prêtes à faire cet effort», note Philippe Lehmann. En dix jours seulement sur le marché et les réseaux sociaux, le projet d’écoquartier Charmes a généré 8000 visites en ligne et deux acheteurs se sont manifestés.
Évolution et figures de l’habitat durable
La notion d’écoconstruction n’est pas toute récente. On en parlait en Suisse déjà dans les années 1950. Mais elle a évolué, en particulier avec l’arrivée de nouvelles techniques du bâtiment, plus écologiques. Son fil conducteur est de construire ou de rénover un habitat en respectant au mieux l’environnement et les ressources locales. Matériaux, chauffage et rejets des flux tels que l’eau et les déchets sont analysés. Tout est fait pour réduire la consommation d’énergie fossile et d’eau, en valorisant le solaire, les échanges d’air et en réutilisant l’eau jusqu’à trois fois. La dimension des liens sociaux et la vie communautaire est également prise en compte dans ce type de projets. A présent, les labels de durabilité se multiplient et chacun a ses nuances. Le plus connu est le label Minergie apparu en 1994, suivi de ses déclinaisons. Selon les pays et les régions, on parlera de construction bioclimatique, de maison passive ou d’habitat zéro énergie. En Suisse romande, Lutz Architectes et l’Atelier Nova s’inscrivent dans ce mouvement de l’habitat durable. Récompensé à de nombreuses reprises, Lutz Architectes vient de remporter le Prix de la JCI Neuchâtel, «Décarbone ta boîte». Sa rénovation d’une maison des années 1960, lui permettant de réduire de 90% des émissions CO2 a largement convaincu.