Äescher: l’Hospitalité au sommet de la montagne
À quelques kilomètres de la ville d'Appenzell, nichée sur les flancs escarpés de l'Ebenalp, l’auberge Äescher fascine par son emplacement vertigineux et son histoire. Construit au XIXe siècle, ce havre de paix entre ciel et terre attire aujourd’hui randonneurs et amoureux de la nature, tout en restant témoin des siècles de vie solitaire et spirituelle des ermites qui l’ont précédé.

Quel aubergiste en montagne ne souhaiterait pas que son établissement devienne une attraction touristique populaire, photographiée par des milliers de visiteurs et massivement partagée sur les réseaux sociaux? Ce rêve, pourtant, est devenu le cauchemar de Bernhard et Nicole Knechtle, anciens propriétaires de la mythique auberge Äescher, dans les montagnes appenzelloises de l’Alpstein.
Tout commence en 2014, lorsque le Huffington Post propulse l’ancien ermitage au sommet des cinq restaurants les plus féériques du monde, surpassant un établissement sousmarin aux Maldives et un autre perché dans les arbres en Thaïlande. Dans la foulée, l’acteur américain Ashton Kutcher partage la photo du lieu avec ses 17 millions de followers sur son mur Facebook. Le coup de grâce survient en 2015, lorsque le National Geographic, avec ses 2,5 millions d’exemplaires distribués dans 50 pays, place l’Äescher en couverture, incitant ses lecteurs à ne pas mourir avant de l’avoir visité.

Du jour au lendemain, des hordes de touristes affluent des quatre coins du globe pour un selfie dans ce recoin d’Appenzell Rhodes-Intérieures. Devant la petite auberge collée au pied d’une falaise haute de plus de 100 mètres, une file d’attente digne de celle de la tour Eiffel se forme. Bernhard et Nicole Knechtle sont débordés. Leurs journées démarrent à 6 heures du matin et se terminent à 22 heures. En haute saison, avec 1 000 repas servis par beau temps et des quantités astronomiques de pommes de terre à éplucher à la main (14 000 tonnes de la variété Agria, pour les curieux), ils n’ont plus une minute à eux. En outre, les infrastructures ne suivent plus. La grotte où sont stockées les patates destinées aux célèbre röstis n’est pas extensible, les frigidaires sont trop petits et à cette altitude, impossible d’installer l’eau courante. Résultat, Bernhard et Nicole Knechtle sont en burn-out. Exténués, ils rendent leur tablier fin 2018 et regagnent la vallée.
Un réservoir naturel
Le plus célèbre restaurant d’altitude de Suisse ne reste cependant pas longtemps inexploité. En 2019, une agence spécialisée dans les évènements gastronomiques basée à Bühler reprend la gérance. Pour permettre au restaurant de continuer à tourner, des investissements sont annoncés par la Fondation Wildkirchli, propriétaire de l’établissement. Le réseau d’eau et d’électricité est assaini, tout comme les sanitaires. Ces améliorations sont essentielles compte tenu du système d’approvisionnement en eau unique de l’auberge. L’Äescher utilise un ingénieux système autonome basé sur un réservoir naturel situé dans la grotte de Wildkirchli. Ce réservoir, d’une capacité de 84'000 litres, est alimenté par l’eau de pluie qui s’infiltre et se filtre naturellement à travers le sol calcaire. L’auberge consomme environ 3 000 litres d’eau par jour, ce qui nécessite une gestion rigoureuse des ressources, particulièrement en période de sécheresse. Pour économiser l’or bleu, des innovations ont été mises en place dans le cadre des rénovations, comme des robinets à brouillard d’eau et des toilettes à faible consommation.
Une nourriture du terroir
Bien que les röstis aient disparu du menu, l’Äescher reste fidèle à ses racines en proposant une cuisine authentique et régionale. La carte met en valeur les produits du terroir et les traditions locales, avec une place de choix accordée au célèbre fromage Appenzeller. Parmi les spécialités, l’établissement propose une assiette froide composée notamment de viande séchée Mostbröckli servie avec du pain noir et un pain aux fruits maison. Autrefois, ces délices culinaires typiquement suisses étaient acheminés à dos de mules. De nos jours, le transport des marchandises s’effectue principalement via la Ebenalpbahn (téléphérique) deux fois par semaine, avec une capacité de 800 kg ou 32 caisses par voyage. Les livraisons sont ensuite acheminées depuis la grotte de Wildkirchli jusqu’au restaurant à l’aide de véhicules à chenilles appelés «Hukis». Ce même système est utilisé pour évacuer les déchets. Occasionnellement, l’hélicoptère est également employé pour le transport.
Un peu d'histoire…

L’auberge de l’Äescher, l’une des plus anciennes de Suisse, existe sous sa forme actuelle depuis 1860, mais son histoire remonte bien plus loin. Des hommes y ont vécu dès le paléolithique, partageant l’espace avec des lions et des ours des cavernes avant que les ermites n’y établissent leur présence au XVIIe siècle. Le premier ermite, le pasteur Ulmann, s’y installa en 1658, suivi par une vingtaine d’hommes jusqu’en 1853, qui façonnèrent l’identité spirituelle et hospitalière du lieu. Une petite chapelle rappelle l’époque où le curé d’Appenzell célébrait la messe pour les bergers, avant de devenir lui-même ermite. L’auberge, créée cette même année, s’inscrit dans cette riche tradition d’accueil et de contemplation, où la nature invite à l’humilité, comme en témoigne un extrait du livre d’or (1795-1824): «Comme la terre me semble petite du haut de la montagne, […] vivez en bas comme des frères, mes petits!»
Un dernier conseil pour la route. L’Äescher accueille les visiteurs selon un calendrier saisonnier adapté à son emplacement montagnard. Pour profiter pleinement de ce lieu magique, il est recommandé de planifier sa visite pendant la belle saison (idéalement de mai à octobre) et de vérifier les horaires du téléphérique Ebenalpbahn, principal moyen d’accès à l’auberge. Celle-ci est enfin fermée pendant la saison hivernale, de décembre à avril, en raison des conditions météorologiques difficiles.