À Montricher, un cocon littéraire entre ciel et terre
Chaque mois, nous explorons l’environnement bâti suisse. Dans ce numéro, place à la Fondation Jan Michalski pour l’écriture et la littérature à Montricher, au pied du Jura vaudois.
Écrire, affirment les romanciers, est un périple solitaire. Au fil des siècles, ils sont nombreux à s’être confiés sur l’importance d’un lieu entièrement consacré à leur art, un refuge où les mots peuvent s’épanouir en toute quiétude. Roald Dahl trouvait son inspiration dans une petite cabane au fond de son jardin connue sous le nom de «Writing Hut». Agatha Christie tissait ses intrigues policières dans son «Cabinet». Mais c’est certainement Virginia Woolf qui exprime le mieux le besoin d’une pièce dédiée à l’écriture dans le célèbre ouvrage A Room of One’s Own (Une Chambre à Soi). De nos jours, dans le tumulte de nos vies agitées, il devient de plus en plus difficile de s’aménager cette fameuse pièce à soi. C’est sans doute la raison pour laquelle de nombreux écrivains se tournent de plus en plus vers les résidences d’écriture.
Depuis avril 2017, la Fondation Jan Michalski de Montricher, au cœur du Jura vaudois, offre son espace aux auteurs, traducteurs, et à d’autres créateurs dont le projet est centré sur l’écriture. Située face au Léman et aux Alpes, ses sept «cabanes» d’écrivain(e)s se dressent comme une prouesse architecturale, un sanctuaire conçu spécialement pour accueillir les rêves et les récits de plumes inspirées. Suspendus à une «canopée» en béton, ces cubes blancs évoquent des cellules monastiques ultra modernes. Si tous ont été conçus avec les mêmes matériaux pour garder l’harmonie - bois d’accoya, métal non brillant, verre, béton blanc - chacun a été confié à un architecte différent (ndlr: Bonnet, Décosterd, Fuhrimann-Hächler, Mangeat-Wahlen, MK27, Rintala-Eggertsson, Schaub-Zwicky et Elemental). Cette diversité confère à chaque cabane son propre style.
Studieuses retraites
Par exemple, celle de Pierre Wahlen est petite, entièrement construite en métal et en verre. Celle des Norvégiens Rintala-Eggertsson offre un espace luxueux, boisé, étagé et lumineux. Seule cabane d’écrivain(e) à être située en amont de la Fondation, côté Jura, celle de l’architecte Bonnet est, quant à elle, placée en lisière de canopée avec une vue sur le coteau, la forêt qui descend en pente douce et la campagne environnante. On y accède par un escalier se frayant un chemin au travers du moucharabieh (cloison ajourée faite de panneaux en bois) qui sépare l’espace de manière verticale. «Voir sans être vu, préservation de l’intimité», détaille le cabinet d’architecture. L’extérieur se distingue par un toit à deux pans, inversé sous l’habitation. Une grande baie vitrée occupe l’une des quatre faces de la cabane. Les autres côtés ont des ouvertures dissimulées derrière des panneaux blancs en acier zingué sur lesquels figure un texte en morse d’Henry David Thoreau: «En plus de la simplicité, nudité». Tout un programme…
D’ailleurs, ceux qui aspirent à suivre les traces du philosophe et naturaliste du XIXe siècle et à vivre en quasi autarcie le peuvent, chaque structure étant équipée d’un bureau, d’une kitchenette, d’un coin salon, d’un lit et d’une salle de bain. «Quand les réflexions ont débuté, en 2000, nous avons pris modèle sur la Chartreuse», détaille Pierre Wahlen. Ces monastères datant du XIe siècle se caractérisent par une architecture sobre et fonctionnelle, destinée à faciliter la vie contemplative et ascétique des ermites cartusiens, appelés également les «chartreux». «Ici, le site comportait une ancienne colonie de vacances. Sur son emplacement, se trouve maintenant la bibliothèque. L’auditorium a été construit là où se trouvait une chapelle. La petite place qui reliait les deux bâtiments a été conservée. Mais il fallait quelque chose pour unifier les différents éléments d’où l’idée de la «canopée» en béton qui surplombe tous les bâtiments de la Fondation et à laquelle sont accrochées les cabanes.»
Quelques détails techniques, à présent, pour les passionnés d’architecture. Cette œuvre complexe et innovante a nécessité cinq années de réflexion, de conceptualisation et de discussions, d’abord avec les architectes Vincent Mangeat et Pierre Wahlen, puis avec l’entreprise Losinger Marazzi. Sa canopée artificielle, ajourée et tissée avec 3000 tonnes de matériaux, repose délicatement sur 96 piliers, variant de 9 à 18 mètres de hauteur et pouvant supporter jusqu’à 7,9 tonnes. D’une surface de 4500 m2 et d’une épaisseur de béton de 40 cm, elle est perforée de 270 alvéoles qui filtrent la lumière pour imprimer sur le sol l’image d’un dessin apparemment aléatoire. Mimant l’attitude des troncs de mélèze des forêts du Jura, ses longues colonnes se meuvent les unes par rapport aux autres au fur et à mesure que le point de vue du promeneur change. L’utilisation de techniques spéciales et avant-gardistes, telles que le ferraillage avec torons, la précontrainte (renforcement préalable du béton), et des appuis glissants en néoprène, a été cruciale dans la réalisation de cette structure architecturale exceptionnelle.
Maître de l’ouvrage, la Fondation Jan Michalski, créée par Vera Michalski-Hoffmann en mémoire de son mari, le sociologue et philosophe Jan Michalski, réalise avec ces cabanes le rêve d’offrir aux écrivains du monde entier un lieu déconnecté propice à la création. Tout écrivain, ayant publié ou non, sans restriction d’âge ou de nationalité, peut bénéficier de ce havre de paix. Les projets sont évalués par un comité d’experts, présidé par Vera Michalski-Hoffmann. La durée des séjours varie de deux semaines à trois mois. En plus des petits-déjeuners et déjeuners offerts, les auteurs en résidence reçoivent une allocation forfaitaire de 400 francs par semaine.