A la recherche des munitions du Léman
Le dessinateur Nicolas Otéro a prêté son trait hyperréaliste à l’organisation Odysseus 3.1 pour raconter ses expéditions au fond du lac. Son album sera présenté au festival Arvélac à Anières les 13 et 14 novembre.
![Odysseus 3.1 de Nicolas Otéro Odysseus 3.1 de Nicolas Otéro](https://www.immobilier.ch/media/2879/odysseus-3-1-de-nicolas-otero-1-article-item-main.jpg)
Que faire du surplus de munitions? A la fin de la Seconde Guerre mondiale, les belligérants ont dû gérer cette épineuse question. On parlait quand même de millions de tonnes d’obus, de grenades et de cartouches inutilisés… Après que plusieurs entrepôts ont explosé à travers l’Europe, causant la mort de nombreuses personnes, il a été décidé de jeter tous ces stocks de munitions au fond des océans et des mers. Ni vu, ni connu. L’armée suisse n’a pas fait exception à cette règle, puisque plus de 8000 tonnes de bombes et de balles sont immergées dans les lacs de Thoune, Brienz et des Quatre-Cantons. Mais une rumeur laissait entendre, sans preuve formelle, que le Léman était également concerné par cette affaire militaire.
Par 50 mètres de fond
En septembre 2019, un groupe de plongeurs, emmené par Lionel Rard et Joris Bayon sous l’étendard de l’organisation française Odysseus 3.1, décide d’explorer les fonds lacustres à la recherche de ces vestiges hérités des années 1940-1950. Et là, stupeur, ils tombent sur plusieurs caisses de munitions éventrées, par 50 mètres de fond seulement: des bombes d’aviation, des grenades, des cartouches usuelles, tout un arsenal, au milieu du lac, à peine recouvert de sédiments. Renseignements pris, il semble que ce ne soit pas l’armée suisse, mais l’entreprise d’armement Hispano-Suiza qui soit à l’origine de ce dépôt sauvage. N’empêche, il se pose la question de la sécurité et, surtout, de la pollution des eaux.
Cette première expédition a en tout cas le mérite de provoquer une réaction immédiate des autorités genevoises qui lancent une opération pour cartographier le périmètre «miné». L’Université de Genève, de son côté, mandate Odysseus 3.1 pour mener une campagne d’investigation scientifique, avec opérations de carottage et prélèvements d’échantillons (sédiments, moules, caisses) au programme. Une vingtaine de personnes ont participé à cet acte 2 en 2020. Parmi eux, un homme équipé d’un carnet de croquis et de crayons.
«J’adapte mon style au sujet»
Nicolas Otéro a en effet été invité à raconter cette aventure palpitante, et 100% réelle, en bande dessinée. «Lionel Rard est un ami du lycée, explique-t-il. Nous nous sommes perdus de vue pendant plusieurs années avant que nos chemins ne se croisent de nouveau il y a peu. Un jour, il m’a parlé de ce projet de reportage BD autour de leur découverte dans le Léman.» Le Lyonnais n’a pas hésité. Il apprécie ce genre de sujets, un peu lourds, qui ancre la bande dessinée dans l’actualité et l’Histoire avec un grand H. C’est lui qui vient d’illustrer l’ouvrage de Soren Seelow sur les attentats du 13 novembre, à Paris, «La cellule». Avec Roger Martin, il est également l’auteur de la série «AmeriKKKa» qui se plonge dans les secrets du Ku Klux Klan. Neuf tomes sont déjà sortis entre 2002 et 2014, mais on ne sait toujours pas si le dixième, pourtant commencé, verra le jour…
«Par son format, par la liberté qu’elle nous donne, la bande dessinée permet de raconter toute sorte d’histoire», fait-il remarquer. Nicolas Otéro s’offre néanmoins des moments de respiration, ce petit vent de fraîcheur qui le fait se sentir plus léger: même si le scénario se déroule pendant la… Seconde Guerre mondiale, sa nouvelle série, intitulée «Le Réseau Papillon», met en scène un groupe d’adolescents bien décidés à défendre leur pays face à l’envahisseur nazi. Destiné à un lectorat plus jeune, le coup de crayon se révèle plus doux, moins anguleux. «J’adapte toujours mon style au sujet – selon le public visé. Dans un reportage BD, le trait doit être plus réaliste. On doit faire attention aux détails, à la véracité des faits et des lieux.»
Mesurer les risques
Il n’était donc pas si étonnant de retrouver Nicolas Otéro sur ce bateau au milieu du Léman. Participer à cette expédition avait un but bien précis: capter des ambiances, des émotions, mesurer les risques, goûter à l’aventure, mais surtout, s’imprégner de la vérité… «Moi-même, je ne plonge pas, je n’ai donc pas pu accompagner les membres de l’équipe sous l’eau», regrette-t-il. Le Lyonnais a néanmoins vécu de l’intérieur le coup de stress qui a secoué le groupe, lorsque Lionel Rard, son ami d’enfance, a connu un problème de palier de décompression. Une manière de prendre conscience des risques encourus par ces plongeurs dans leur quête de transparence. Pas besoin de descendre dans la fosse des Mariannes pour affronter le danger.
S’il lui revenait la responsabilité d’être «le plus sérieux possible» dans le dessin, Nicolas Otéro a laissé le soin à Lionel Rard et Joris Bayon de coucher le scénario sur le papier. «Je leur ai donné quelques conseils mais, ayant vécu eux-mêmes les événements, il était important qu’ils dirigent le récit comme ils le souhaitaient. Il fallait simplement le rendre le plus agréable possible pour ne pas lasser le lecteur.» Le résultat final? L’album, intitulé «Odysseus 3.1 – Les munitions du lac», sera dévoilé en avant-première au festival Arvélac à Anières (13-14 novembre). Le dessinateur sera d’ailleurs présent les deux jours pour dédicacer l’ouvrage. «Après la période qu’on vient de traverser, on est content de retrouver les collègues et de rencontrer nos lecteurs», admet-il. Une conférence de presse aura également lieu le 12 novembre aux Bains des Pâquis. Mais il y sera plus question de la suite des aventures d’Oysseus 3.1 que de BD. Un tome 2 en perspective?
Odysseus 3.1
– Les munitions du lac», de Lionel Rard, Joris Bayon et Nicolas Otéro. Éditions PerspectivesArt9 et Odysseus 3.1.
Arvélac Festival BD, les 13 et 14 novembre à Anières (de 9h à 19h).
Infos et programme sur www.arvelacfestivalbd.com